TEMPS ET TRAUMATISME : LE TEMPS AUX ARRÊTS.

 

Je remercie, avant toute prise de parole, le Dr Bres, le CRAPS et le groupe Video-psy de m’avoir invitée à participer à ces XXX° Journées de Video-psy. Je remercie tout particulièrement Robert Bres et son humour impeccable pour m’avoir prêté, attribuée, ce titre : Temps et traumatisme : le temps aux arrêts, qui annonce déjà la couleur mitigée du trauma. La provocation de cette invitation me donne une fois de plus l’occasion de dire quelque chose – sur ce temps spécifique du trauma – à partir de ce que ma pratique de psychanalyste me permet de savoir.

 

La psychanalyse est une pratique de la parole qui prends son temps, ce qui est époustouflant par ces temps qui courent et qui font plus que jamais du temps une marchandise : TIME IS MONEY.

 

En effet, alors que dans le monde globalisé, le temps n'est qu'une marchandise de plus  et que la science, la technologie et le marché se liguent pour nous faire gagner du temps à tout prix, la psychanalyse persiste et insiste dans le maintien de sa voie. Ses  tours et ses détours offrent l'opportunité d'une expérience du temps à rebours de l'expérience subjective du “temps qui passe” exaltée par les temps qui courent.
Entre le “plus jamais!” et le “peut-être”, le temps que saisit la conscience est une succession irréversible du passé au futur, passant par l'instant présent toujours fugitif et insaisissable. Les modalités subjectives de cet a priori temporel déclinent l'expérience du temps selon des nuances qui vont de la nostalgie  à l'espoir. Les versions “pathologiques” connues comme angoisse, manie, mélancolie, ennui, répétition, témoignent d'une manière autre de vivre le temps qui passe. Les “temps qui courent” et leur science implacable prétendent remédier à ces modalités existentielles et leurs affects afférents. La psychanalyse préconise un autre traitement : prendre le temps.
De fait elle donne accès à une étrange temporalité. Dès les entretiens préliminaires, bien que la parole qui s' y déplie quasi immédiatement ait une structure temporelle diachronique et se déroule selon une succession linéaire, dès les premiers tours dans les dits, s' annonce une temporalité étourdissante pour qui prend le risque de s'y dire. Un temps sans queue ni tête s'inaugure ici, puisque dans la fiction qui met en scène la vérité du sujet, le présent s'annonce bousculé par un avenir supposé et formaté par un passé hypothétique qui aurait été. L'actualité de l'analyste et son acte saura rendre compte de son réel.

 

Il y a des maux que les remèdes produits par le progrès scientifique ne guérissent pas : la recherche du temps perdu, l'ajournement du moment opportun et la répétition du trauma. L'expérience d'une psychanalyse traite ces malaises de l'homme de la civilisation et peut permettre, à la fin des tours de son discours et de sa méthode , que le temps soit enfin trouvé: le moment opportun du désir, quand celui ci ne fuit pas dans la dérive des lendemains qui chante et rattrape l'acte qui fait de l'instant, événement.

 

La psychanalyse est une pratique  de la parole qui prends le temps du désir, soit du transfert. C’est le temps qui transfère de l’un à l’Autre ce qui ne pourrait pas se dire autrement ; par la parole, elle remet dans le mouvement du désir ce qui pour chacun, qui ose encore cette aventure,  est aux arrêts, en détention entre les tours de la répétition et le trou du trauma.

 

Depuis notre expérience et les concepts qui l’orientent, nous pouvons dire que le traumatisme est original, originel dans la vie de chaque Un. Otto Rank (psychanalyste contemporain de Freud) avait même supposé et théorisé un « traumatisme de la naissance » : la vie serait-elle une réponse à ce premier traumatisme qui marquerait chacun dans sa chair ?

 

Voilà donc les psy qui ramène leurs jeux de mots, leurs pirouettes et leurs entourloupes ! Car tout le monde sait bien aujourd’hui, et les médias s’appliquent à nous le faire savoir que le traumatisme est un désastre qui bouleverse subitement le vivant par son effet de mort, de mortification, de stupeur, et d’effondrement narcissique et symbolique. Le temps s’arrête, le passé et les valeurs qu’il donne à l’existence ne servent plus à rien, l’avenir n’a plus de sens, le présent est écrasé. Le traumatisme fait effraction dans la temporalité et ses éclats font retentir un silence assourdissant. Un événement inattendu, imprévisible, qui excède tout entendement ou imagination tombe sur le sujet, c’est un moment de destitution subjective impensable, inimaginable, réel comme la mort.

 

Tout le monde sait cela, on le voit dans les journaux, tous les jours, mais chacun le sait par expérience : la mort évidemment, un accident, une maladie, une rupture de la vie amoureuse, amicale, professionnelle, l’agression, le vol le viol, mais quelques fois un simple geste, un seul mot suffisent et déchaînent une violence qui fait s’écrouler l’édifice subjectif.

 

Tout le monde sait cela, que cette mort soudaine des références de la pensée et du corps entraine ce temps d’arrêt spécifique le temps du trauma. Si le mot temps peut se comprendre selon trois dimensions : la simultanéité, la succession, et la durée, le temps unique du trauma se saisit comme cette simultanéité qui suspend le temps comme succession et comme durée.

 

Le temps malheureusement pour le coup, suspend son vol, il ne passe pas, temps irrémédiable – sans remède – incurable, temps mort, qui maintient l’âme dans l’effroi et le corps dans un tremblement panique.

 

Après la fin de la guerre de 14-18, Freud dû prendre en compte , au titre de « névroses traumatiques », les « névroses de guerre » des soldats qui étaient revenu du front, au point de  remettre en cause toute sa théorie jusque là organisée autour d’un principe unique : le Principe de Plaisir.

 

Ce principe appareillait le psychique en fonction de la pulsion qui par déplacements successifs sur les objets du monde trouvait toujours le moyen de satisfaire sa poussée  insatiable, tout en multipliant ses liens et ses trouvailles.

 

Ces manifestations pathologique et leur fixation psychique au traumatisme, sans raison lésionnelle, au lieu de fuir la douleur en reléguant ces marques de l’effroi et de la surprise et de la « désorganisation prononcée de presque toutes les fonctions psychiques », dans le temps du passé sont sans cesse réactualisées par la répétition de leur rêves, de leurs symptômes, inhibitions, et angoisses.

 

Dans ce même chapitre, au cours duquel Freud démonte sa théorie du Principe du plaisir, il cite ces jeux d’enfants qui jouent à répéter l’événement traumatique, le fameux « fort-da », (mots avec lesquels l’enfant répète l’absence de la mère) qui restera exemplaire du phénomène de la répétition et de sa  structure.

 

Ces exemples « cliniques » cités par Freud nous permettent d’y dégager une temporalité spécifique du trauma, nous pourrions la démontrer dans bien d’autres, et sûrement que chacun d’entre vous dispose dans son expérience clinique ou personnelle de maints exemples de cette temporalité.

 

1-      Effraction traumatique : événement, instant de bouleversement, temps d’arrêt de la continuité temporelle : stupeur - surprise- effroi – irruption- excès – éclatement de l’organisation psychique symbolique et imaginaire ;

 

2-      Premier temps de réponse: dans l’instant du trauma, la plupart du temps le sujet ne meurt pas, mais produit une action spécifique face au danger, développant instantanément une sorte de virtuosité dans l’usage du corps et de l’esprit.

 

Exemples d’actes héroïques, hors du commun, qui dépassent les possibilités habituelles du sujet ; une espèce d’anesthésie , de silence de l’affect , comme si la personne était sur le coup désaffectée, anesthésiée.( vols, viols, agressions…)

 

3-      Dans l’après-coup la re signification de l’effraction traumatique  vient produire      l’effondrement et le retour et l’arrêt sur la stupeur .

 

4-      Répétition de l’instant traumatique : le temps est aux arrêts. Dans les pensées, les rêves, les actes symptomatiques …

 

5-      Une nouvelle réponse du sujet se fait nécessaire .

 

On peut appeler cette réponse la responsabilité du sujet , sa response ability , sa capacité de réponse ( notion de résilience qui a fait le succès de Boris Cyrulnik

 

 

 

La psychanalyse avait commencé comme une théorie du trauma. Freud a d’abord expliqué les symptômes comme une réminiscence, un retour du refoulé, retour de l’oubli de l’instant traumatique.

 

Très vite il fut troublé par les fictions « complaisantes » qui recouvraient ce trauma initial, et il conclut que la constance du  fantasme et sa jouissance servait à chacun à se fabriquer une fiction de cet événement traumatique dont il faisait l’origine de son roman familial.

 

Le trauma originel n’était pas accidentel, mais structural, ( Lacan dira c’est un trou-matisme) même si chacun se confronte à cette détresse traumatique au cours des évènements et accidents singuliers et éventuel de sa vie.

 

Par ailleurs, on peut préciser que si le trauma apparaît classiquement dans les romans familiaux comme abandon de l’autre ou au contraire son intrusion abusive, c’est que le trauma structurel qui est à l’origine de chaque sujet et de sa réponse propre, c’est l’intrusion et l’abandon du grand Autre symbolique qui en fait un sujet mal barré, séduit et abandonné. Le sujet doit se soumettre à l’abus du langage, y soumettre  son corps, plier le destin de ses pulsions à la nécessité de la demande modelée par l’Autre, qui au bout du compte ne répond jamais vraiment aux siennes et le laisse en plan. La castration est un autre nom de ce double abus : intrusion et abandon.

 

Ce qui compte dès l’origine, c’est la réponse éthique à cette logique traumatique du logos.

 

Le cri, peut se transformer en Dire qui fait face à l’altérité radicale ; les dits de la parole peuvent donner suite à ce  Dire d’ex-sistence, et de là faire lien dans l’adresse à l’autre : c’est le temps du désir. (L’ éthique du désir fait suite à l’éthique du Dire )

 

Quand quelqu’un se risque, s’engage, dans une psychanalyse, c’est quand son interprétation, fiction, fantasmatique du trauma, ne tient plus la route, le laisse dans la solitude et le suspend dans  l’insoutenable légèreté de l’être.

 

L’analyse prends le temps de la parole pour mettre en circulation ce qui ne parle pas, ne fait pas lien avec l’autre et s’est trouvé subitement découvert par la mise à mal du fantasme protecteur.

 

Un traumatisme accidentel de la vie peut venir dévoiler ce que le fantasme voilait.

 

La répétition déjà, annonçait ce point opaque de l’être qui échappe à la dialectique du désir et du temps fondamentalement irréversible, en produisant dans le cours de la vie l’insistance de ce temps aux arrêts, ce temps réel « d’un passé qui se manifeste renversé dans la répétition » (Lacan Ecrits FCPL  p 318)

 

La psychanalyse prends son temps, pour que quelque Un prennent la parole au mot à mot de son inconscient afin que le temps aux arrêts du trauma originel qui se manifeste dans ce passé renversé, de ce  temps mort de la répétition, puisse faire acte. C’est à dire une réponse autre, une réponse inouïe au trou de la détresse originelle, marque d’origine de la réponse existentielle du sujet .

 

A toutes fins utiles, peut-on espérer trouver ici des pistes pour l’écoute et l’accueil clinique des traumatismes en tous genres que les jours d’aujourd’hui, « les temps qui courent » nous donnent à voir de par la condescendance des medias qui voient leurs intérêts à y faire valoir un certain attrait ? Les ravages et la mondialisation du Discours capitaliste et sa mise à mal du lien social multiplient les occurrences de traumatismes et leurs amplifications médiatiques. Les réponses « humanitaires » sont d’autant plus sollicitées et mise au défi de répondre de ce traumatisme généralisé dû aux paradoxes du Discours actuel.

 

Il y a en effet une certaine urgence à veiller à ce que la prise en charge de ces traumatismes  contemporains ne dérive pas vers une victimisation supplémentaire des victimes ni vers une mise en scène complice entre exhibitionnistes et voyeurs.

 

Il faut certainement permettre que le silence se fasse cri. Il s’agit avant tout d’entendre  ce cri pour lui donner la parole, et y faire écho en y faisant résonner sa valeur d’ex-sistence : cela pourra peut être laisser la place à une réponse inédite du sujet. Un réponse impensable et inimaginable au temps d’avant ce temps d’arrêt du traumatisme.

 

Il y a un pari initial, que nous indique la valeur existentielle du trauma originel, c’est que ce temps du trauma est un temps inouï, un temps de destitution subjective mais un temps hors norme d’ex-sistence où le sujet, mal heur, bon heur se trouve détaché / différent, de tout ce qu’il a toujours été.

 

 Ceux qui ne reste pas dans l’accablement, la stupeur et la sidération montrent souvent comment ils peuvent à ce moment prendre acte de ce kairos survenu par la catastrophe et prendre des décision qui change le cours de leurs vie : de-sidérés , desidere = désirer en latin .

 

 

 

                                                           Dominique Touchon Fingermann

 

                                                           20 mars 2018

 

XXXVI èmes Journées Vidéo-Psy

Nous voilà cette année encore à l'Institut Nazareth, 13 rue de Nazareth en mars 2025. Le rituel printanier se poursuit

Organisées par le C.R.A.P.S

(Dr R.BRES), le groupe Vidéo-psy et le CHU de  Montpellier,

Les journées sont gratuites et ouvertes aux personnels de santé et aux partenaires sociaux sans inscriptions préalables.

 

EN MARGE CITOYENS