Le corps au cœur de la sexualité chez les adolescents

 

D. Carole DURAND

Médecin de PMI- Médecin attaché au CHU de Montpellier

Coordinatrice APARSA

 

 

 

 

 

 

Quand on rencontre des adolescents pour parler de la sexualité

 

Que fait-on ?

 

Que se passe-t-il ?

 

De quoi parlons-nous ? Doit-on parler de tout ?

 

De quelle rencontre s’agit-il ?

 

A quelle place sommes-nous ?

 

Qu’est-ce qu’on attend d’eux ?

 

Qu’attendent-ils de nous ?

 

Et le corps dans tout ça ?

 

 

 

Pourquoi en parler et de quoi parlons-nous - Est-ce possible de le faire comme cela ?

 

« Il faut leur dire, il faut leur expliquer »… ce qui sous entend ; après, ils feront comme il faut !

 

Ils ne prendront pas de risques, ils se comporteront de façon respectueuse, ils mettront un préservatif, ils prendront la pilule, ils demanderont le consentement de l’autre…

 

Les choses sont simples !

 

Et pourtant cela ne se passe pas vraiment comme cela !

 

 

 

Car, qu’est-ce que la sexualité ou plutôt que savons nous de la sexualité ?

 

Que c’est une fonction humaine qui nous sollicite tous, que son expression passe par plusieurs chemins, le désir, la séduction, le sexe et que ceci s’invente et ne s’apprend pas.

 

Sauf, qu’il y a des limites car la fonction est puissante, elle nous mène vers l’inconnu, vers l’imprévu en des lieux qui révèlent un peu plus qui nous sommes et l’ampleur de notre puissance : c’est parfois même un peu « terrifiant » !

 

La sexualité est donc une fonction humaine mais vers où nous mène-t-elle ? Nous devenons adulte en découvrant toutes nos capacités … mais pas seulement nos capacités… chacun sait ce qu’il y découvre et ce n’est pas la même chose pour chacun ! Mystère !  La sexualité a probablement une fonction émancipatrice.

 

C’est aussi la fonction de relation car elle nous mène vers l’autre, sauf si nous sommes entravés… sauf si nous ne pouvons pas prendre ce chemin, sauf si l’autre est une menace…

 

La sexualité est la fonction de relation, elle nous invite à quitter le connu pour aller vers l’inconnu, le prévisible vers l’imprévu, à inventer de nouvelles relations pour rencontrer l’autre, l’autre alter ego : un peu le même que nous, un peu autre que nous, l’étrangeté de celui qui n’est pas nous.

 

 

 

« Es-tu l’autre pour aimer dire à cet autre, tu es moi ? »

 

Prends-moi, chaos, dans tes bras. Adonis.

 

 

 

Que fait-on quand on parle de sexualité ?

 

Depuis la nuit, des temps, la sexualité existe, fonction de procréation mais dont l’homme ne s’est jamais contenté, et selon les époques, les cultures, les sociétés, il a trouvé les moyens d’en tirer des bénéfices secondaires ! Les artistes ont tenté de nous faire saisir la complexité de cette fonction, les poètes ont usé de mots, les peintres l’ont mise en scène utilisant toujours des subterfuges pour ne pas l’aborder trop directement, pour approcher le mystère sans le dévoiler : des allégories, des mythes… des histoires qui racontent bien plus que ce que le récit raconte… Puis il y a eu la littérature orale, les histoires les contes : les humains ont toujours eu besoin d’évoquer la sexualité pour mettre des limites, pour apprendre à se comporter, pour apprivoiser l’inconnu, pour se faire une idée de ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Toute culture a produit ses conditionnements, ses modèles, ses interdits… sans jamais écraser le désir.

 

 

 

Et nous, que faisons nous et au nom de quoi ?

 

 

 

Nous en parlons avec les adolescents parce que nous avons peur, peur des maladies, peur de la grossesse quand elle survient à un moment que nous avons décidé inopportun, peur des rapports de force, des rapports de pouvoir. Mais qu’inspire la peur : la fuite ou la désorganisation de la pensée et de l’action ?

 

Mais dans le même temps, nous ne voulons plus conditionner et nous laissons chacun faire avec cette puissance. Nous n’apprenons plus les bonnes manières et sa propre satisfaction et la quête de la performance restent les seules digues possibles : Est-ce cela qui va nous apprendre à rencontrer le mystère de l’autre ?

 

 

 

Pour parler de la sexualité, nous avons des moyens, des explications, des schémas des planches d’anatomie, des modèles visuels. Ainsi, on donne à voir et on donne à entendre… de la raison pure comme si tout pouvait s’expliquer (l’acte sexuel s’explique par le fait que deux sexes se pénètrent… Est ce pour cela que nous acceptons d’aller dans les bras d’un autre !?

 

Nous utilisons aussi des images du corps qui oublient ce qui fait l’essentiel du corps : notre capacité à le rêver, à le penser, à sublimer nos éprouvés. Le risque est de faire du corps un morceau de viande : le corps s’érotise pour être aimé, pour être aimable. Les émotions, les sentiments sont autant d’outils pour affronter le mystère.

 

Il y a aussi toutes les images pornographiques, mises en scène de fantasmes mais aussi support  de modèles un peu restrictifs et très stéréotypés : ou est l’aventure quand le corps est à ce point instrumentalisé !…

 

 

 

En organisant ces moments où l’on parle de la sexualité, en réduisant celle-ci à ces moyens, on ne parle plus de la sexualité, on piétine l’intime et on voudrait que les adolescents  acceptent cela ?

 

Bien heureusement ils refusent, se rebellent et sont en colère.

 

Car qu’est ce que la sexualité quand elle a cette image là ?

 

Que fait-on du désir, surgi on ne sait d’où ?

 

Que fait-on des éprouvés du corps ?

 

Que fait-on des émotions ?

 

 

 

 

 

Une autre façon de les accompagner :

 

Donc, nous avons choisi, ainsi que d’autres acteurs de terrain, une autre façon de les accompagner,

 

 

 

Avant tout, s'entendre sur la sexualité dont nous avons choisi de parler, celle qui nous  mène vers l'autre. Une Jeune fille me dit « quand je suis amoureuse je fais attention et si je ne le suis pas, j'ai un peu tendance à m'en foutre un peu.... ». L'amour serait le levier le plus puissant pour porter attention à l'autre, pas obligatoire évidemment mais révélateur !

 

 

 

Convoquer la pensée et encourager la création de la parole (prise de conscience de soi).

 

Dans une relation sexuelle non protégée, l'une des causes les plus fréquentes n'est pas de n'avoir pas su ce qu'il fallait faire mais bien ne pas avoir perçu ce qu'il était possible de faire :

 

- Parce que l'émotion était très forte, envahissante toute puissante ou qu'au contraire on s’est

 

  totalement coupé de nos éprouvés

 

- Parce que l'on n’a pas osé dire ce qu'on en pensait

 

- Parce qu'on pense qu'on n'a pas sa place ou que l'autre ne considère pas qu'on en est une

 

- Ou pire encore, que l’on n’existe pas ; certaines jeunes filles sont capables de dire qu’elles

 

  ne savent pas si le copain a mis un préservatif : où sont-elles à ce moment là ?

 

 

 

Donc, il nous faut encourager l’expression :

 

-Parler pour penser

 

-Parler pour exister

 

-Parler pour réaliser qu'on en est capable de penser et de parler !!

 

Il existe une limite : La parole s’invente dans la rencontre, elle n’est pas déterminée par avance, elle n'est pas de l'ordre du discours : une parole  qui serait la même pour tout le monde : non la parole est inspirée par l'autre, elle naît au cœur d’une relation.

 

 

 

Interroger les modèles (tout comportement est influencé par des modèles).

 

Pour reconnaître les liens de dépendance et pour de ne pas laisser les adolescents seuls car certains modèles sont envahissants : il faut donc développer des capacités à les interroger, ne serait-ce que pour savoir si c’est bien ceux-là qui leur sont utiles  (qui répondent à leurs questions).

 

Il est possible d’interroger ce qu’ils regardent : la pornographie (des images qui prennent la  place de  l’imaginaire) mais aussi les séries (la vie ….), les jeux. Il est possible d’en parler pour sortir de l’émotion et convoquer la raison. Il est possible d’en explorer les multiples dimensions !

 

 

 

Les aider à digérer leurs expériences

 

Et les accompagner à discerner les priorités.

 

 

 

Reconnaître ou chercher les rails de sécurité :

 

Parce que notre société  produit moins de « rails de sécurité » contenant (les interdits sont souvent paradoxaux), les adolescents sont obligés d’inventer des contenants internes (l’éducation et les valeurs transmises par la famille en font partie). Le respect de l’intimité est un contenant puissant bien malmené par les modèles.

 

La notion de consentement ? Consent-on à la même chose quand on consent ?

 

La séduction est-elle considérée comme un écrasement du consentement ou la conquête de l’autre ?

 

C'est le fait de discuter qui permettra à chacun de se faire une réponse adaptée et singulière.

 

 

 

Nommer les émotions pour tenter de les contenir... c’est un minimum à l'efficience incertaine !

 

Parce qu’il faut pouvoir redonner sa place aux émotions, aux éprouvés qui sont les outils les plus puissants pour nous mettre en relation. Faire la distinction entre les éprouvés et l’excitation d’autant plus que celle–ci est entretenue par le milieu ambiant et les envahit de façon quelque peu artificielle.

 

 

 

Enfin  respecter l'intime et sauvegarder le mystère

 

Parler, échanger, discuter mais est-ce que tout nous regarde ?

 

Répondre, c'est aussi prendre le risque de réduire.

 

 

 

Et le corps dans tout cela ?

 

Parler du corps c’est compliqué car le corps existe véritablement quand la parole se tait.

 

Mais chez les adolescents, le corps parle, il fait symptôme.

 

 

 

Soutenir que le  corps n'est pas de la viande, une chose qui se résumerait à un objet de désir, à un instrument de plaisir, qui n'aurait de sens que dans la consommation et qui ne serait plus alors soumis qu'à la seule possibilité d'être dans une relation de pouvoir. Le corps non relié à la personne serait alors abandonné à toute sorte de dérive.

 

 

 

Mais le corps c’est aussi  le lieu du désir

 

Que faire avec ces premiers élans qui sont une excitation, une attirance et dont on leur dit qu’ils sont besoin !! Quelle représentations offertes à ces émotions sinon celles des modèles proposés : des corps à corps torrides qui résonnent faux, joués par des acteurs qui font semblant !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le désir sexuel est tendu vers une personne désirée parce qu’elle est désirable, parce que c’est elle et pas une autre : conserver la sexualité au cœur de la relation semble indiquer une voie prometteuse : celle d’un espace où chacun existe où chacun inspire l’autre : là tout est dit : c’est l’opposé de la consommation d’un corps instrument mais la reconnaissance d’un corps sujet, d’un corps personne, qui te renverra un peu de toi, qui t’obligera à modérer ta puissance en faisant un peu de place à ce qui adviendra, une co-construction, un « être ensemble ».

 

Alors il ne s’agit plus de performance, de déception  mais bien d’une expérience partagée non partageable.

 

 

 

 

 

En parler, c’est prendre le risque de réduire … sauf si nous laissons une place au mystère et si nous interrogeons toujours la place de l’autre ! Mais c’est surtout témoigner que si nous ne savons pas tout d’avance, leur pensée comme leur parole sont toujours à inventer.

 

 

XXXVI èmes Journées Vidéo-Psy

Nous voilà cette année encore à l'Institut Nazareth, 13 rue de Nazareth en mars 2025. Le rituel printanier se poursuit

Organisées par le C.R.A.P.S

(Dr R.BRES), le groupe Vidéo-psy et le CHU de  Montpellier,

Les journées sont gratuites et ouvertes aux personnels de santé et aux partenaires sociaux sans inscriptions préalables.

 

EN MARGE CITOYENS