Le temps du psychodrame
Corinne Gal [1]
Bonjour,
Je remercie l’équipe de vidéo psy de m’avoir invité et je les remercie de tenir depuis tant d’années ce rendez-vous important pour la « clinique ». Vidéo psy se révèle d’une endurance exceptionnelle, quand on parle de temps, l’endurance, ce n’est pas rien…
C’est aussi ce que nous demande la clinique des psychoses, l’endurance... tenir… Oury disait que quand on commençait à prendre en charge un patient schizophrène c’était pour la vie, alors…
Une prise en charge thérapeutique via le psychodrame de groupe relève aussi d’une certaine endurance. Toutes les semaines, à la même heure, dans la même salle, je m’assieds à la même place, je regarde le même mur, les patients changent puisque le groupe est « lentement ouvert » mais certains vont rester des années. Et il faut à chaque fois retrouver, en soi, la possibilité de donner du souffle à la séance, de l’animer.
La place du psychodrame à Saint Martin de Vignogoul
Le psychodrame a une place fondatrice à Saint Martin de Vignogoul, puisque que c’est pendant la formation à la thérapie du groupe et au psychodrame que se sont rencontrés, je pourrais dire, les fondateurs de cette clinique. Pour vous dire deux mots de la clinique, SMV fut créé en 1972 et s’inscrit d’emblée dans la lignée des cliniques où s’exerce la psychothérapie institutionnelle. Une petite centaine de patients vivent là, le temps d’aller mieux. Ils ont entre 18 et 40 ans et souffrent de psychose, névrose grave ou état limite.
Soit le psychodrame est une indication de la part de l’équipe soignante, soit ils le demandent eux-mêmes…
Ils sont soit hospitalisés à St Martin soit à l’hôpital de jour attenant. Le psychodrame de groupe qui est proposé est intégré dans le cadre de soin de l’institution.
Aujourd’hui, j’anime à St Martin trois psychodrames de groupe hebdomadaire.
Au vu des demandes, j’ai aussi créé un institut de formation au psychodrame à Montpellier : L’IP2M. Institut Psychodramatique Montpellier Méditerranée. Deux groupes sont en cours de formation dans la première grande étape du développement personnel.
Pour vous présenter le dispositif, qui est d’une grande simplicité :
Au départ, il y a un lieu, une salle, plutôt de belle dimension, de manière à accueillir une dizaine de personnes. Et qu’elles puissent s’y mouvoir, y cavaler si besoin est. Aucun décor particulier dans ce lieu et peu de meubles, quelques chaises, une petite table si un observateur scribe est présent. Ensuite, il y a les participants : une équipe de soignants professionnels et un groupe de patients. Dans le cadre de la clinique St Martin de Vignogoul, les séances, hebdomadaires, ne dépassent pas une heure. Dans le cadre d’un développement personnel, ouvert à tous, cela se passe sur des temps plus longs.
Ces séances comportent trois étapes, presque rituelles. D’abord on s’assied, en demi-cercle, face à l’espace qui servira de scène. Au milieu de l’arc de cercle formé par les participants, se tient le psychodramatiste animateur. Ou les psychodramatistes animateurs. A St Martin j’ai la chance d’avoir toujours eu un co-animateur, et des joueurs auxiliaires faisant partie de l’équipe soignante.
Le psychodramatiste demande aux patients s’ils ont pensé à la séance précédente, s’ils ont fait des rêves en relation avec elle, s’ils ont agi en rapport avec elle. Chacun s’exprime. Puis vient le moment des propositions de jeu. Le psychodramatiste choisit celle qui lui semble le mieux convenir. Il se lève et invite celui qui l’a proposé à devenir le protagoniste du jeu.
Commence la deuxième étape, la plus importante : le jeu lui-même.
Des scènes de la vie quotidienne se jouent, mais aussi des aventures extraordinaires, imaginaires, banales ou abracadabrantes. On y tient des rôles de femmes, d’hommes, d’enfants, mais on peut y devenir une tornade, un cœur, un chat, un sentiment, une larme. On peut y jouer des scènes du passé, du présent mais aussi du futur, des rêves ou des rêveries. Tous les participants sont susceptibles d’être appelés sur scène pour tenir un rôle dans le jeu du protagoniste. Quand l’animateur estime que le jeu doit prendre fin, il l’arrête et tout le monde retourne s’asseoir.
Dernière étape, les joueurs disent à tour de rôle ce qu’ils ont ressenti pendant le jeu. Pas de conclusion, pas d’analyse, pas d’interprétation, que le ressenti. Et l’on se sépare, jusqu’à la prochaine fois.
J’avais envie de vous parler d’un jeu, de vous raconter une séance comme on le ferait d’une histoire. Une séance « extraordinaire » qui illustre comment le psychodrame peut devenir une méthode vraiment opérante pour aider les patients à « sortir d’une crise délirante ». Extraordinaire parce qu’on ne vit pas de telles séances à chaque fois, pour autant, c’est parce qu’elle s’inscrit dans la continuité temporelle du psychodrame qu’elle a pu être possible. C’est grâce à la qualité de la relation que nous avons avec Isabelle, la patiente dont je vais vous parler, que cette séance a été possible. Mon objectif en vous parlant de cette séance n’est pas de parler de la psychose, ou même du délire tant les formes sont à justement parler protéiformes. Je suis en accord avec Henri Maldiney quand il écrit qu’ « Il n’y a de psychose que d’un étant [2]». Mon objectif est de vous parler du psychodrame tel que je le pratique depuis maintenant des années. Et je vais tenter de tisser au fil de cet exposé comment se travaille la temporalité.
Isabelle est une jeune patiente diagnostiquée schizophrène. Elle vient en psychodrame depuis une année et propose des jeux qui traitent de déliaison, elle ne se sent pas bien dés qu’elle est avec les autres, elle perd toute possibilité d’avoir une place, d’exister. Dans les jeux qu’elle propose les autres sont les membres de sa famille et ses rares amis. Elle ne fait que nous dire, sans cesse, son immense douleur à exister, son impossibilité d’être, tout simplement.
Venons-en à la séance dont je veux vous parler
J’étais seule ce jour-là, pas de co-animateur, pas d’auxiliaire professionnel, pas d’observateur. Cette situation rare était due à un concours de circonstances exceptionnelles. Le groupe s’installe et commence la restitution quand la porte s’ouvre. Isabelle entre. Elle avance, puis s’arrête, puis avance de nouveau jusqu’à sa chaise. Tout son corps est comme désarticulé, ses gestes sont si étranges qu’ils semblent ne plus rien avoir d’humain. Elle est chaussée d’immenses nu-pieds à talon compensé et se tord les chevilles à chaque pas. Même assise, ses chevilles se courbent et ses malléoles touchent le sol. Ses doigts, couverts de noir des fusains avec lesquels elle dessine, s’agitent, semblent pointer dans des directions différentes. L’apparition d’Isabelle est stupéfiante, son tourment visible. Le groupe reste bouché bée et l’on m’observe, soucieux.
Autant vous dire que je pressens que la séance va être complexe et délicate.
Isabelle halète, geint, défigurée par la souffrance mentale. Son regard nous traverse sans nous voir, quand une des patientes lui demande si ça va en faisant mine de lui toucher la cuisse, Isabelle hurle.
Je sens qu’il faut que je fasse quelque chose, sans savoir trop quoi…
Je suis attentive et sidérée par la torsion de ses chevilles. Je hausse le ton et de façon très autoritaire, je lui demande d’ôter ses chaussures. Elle ne m’entend pas.
Il faut que je répète trois fois, de plus en plus sèchement, pour qu’elle consente enfin à se bagarrer avec ses boucles et qu’elle quitte ses incroyables nu-pieds. Le groupe reste interdit, la situation les choque autant que le ton que j’ai employé avec Isabelle. Ils n’ont pas l’habitude de m’entendre proférer des ordres. Isabelle se tord à présent sur sa chaise. Des contorsions insensées.
Lui demander de quitter ses chaussures peut paraître bien fou mais c’est avec ce détail qui pourrait paraître anodin que je vais chercher un accrochage avec Isabelle.
Evidemment, je ne donne jamais d’ordres aux patients et encore moins avec le ton que j’ai employé ce jour-là mais…
Je partage la justesse des propos de Philippe Robert : « La rigueur du cadre ne doit pas être confondue avec une rigidité : le « holding » soutien sans étouffer et le lien étaye sans aliéner. Rester neutre ou par exemple silencieux dans certaines situations peut grandement poser problème. C’est d’abord très étrange, voire irreprésentable pour certains groupes de patients d’avoir affaire d’emblée à un interlocuteur totalement abstrait de la situation. Rester silencieux peut être ressenti comme une violence. [3]» Ne pas agir, ne rien proposer, ignorer le besoin de soin d’Isabelle à ce moment là aurait été violent, et pour elle et pour le groupe. Je ne suis pas en retrait de l’interaction. Parfois, c’est passer par l’improbable, ordonner à un patient en pleine décompensation de quitter ses chaussures par exemple, qui a le mérite d’être le plus opérant. Parce qu’il y a de la surprise. De la surprise pour le groupe, qui se demande ce qui peut bien me passer par la tête mais aussi de la surprise pour Isabelle. Qui quitte ses chaussures. L’improbable s’appuie sur un élément de réalité, Isabelle est réellement, à tous les niveaux à coté de ses pompes…
A ce point de la séance, il ne faut plus attendre, il faut franchir le pas et jouer…il n’y a pas de séance sans jeux en psychodrame.
Faire un jeu pour Isabelle… qui ne nous regarde même plus. Jouer semble si difficile dans ce contexte…
Comment aider Isabelle à sortir d’elle-même, à l’extirper de son délire, comment la raccrocher à la relation aux autres, au monde ? Comment ré enchanter son enfer ? Et je m’adresse à Isabelle : « On essaie ? On joue ? » Et je me lève pour rejoindre l’espace scénique.
Je me lève, je lui prends la main et je la conduis sur scène. Elle se laisse entraîner sans résister. Je lui annonce que nous allons marcher un peu, ensemble. Elle ne lâche pas ma main et nous déambulons sur scène. Je la guide. J’essaie de respirer fort pour l’amener à retrouver son souffle par contagion mimétique. Je soupire, je souffle, je prends de profondes inspirations. On pourrait presque parler de holding respiratoire. Je sens sa main se détendre dans la mienne ; sa respiration commence à se calmer. Je lui demande: « Où êtes-vous, Isabelle ? »
Retour à son état premier : affolée, palpitante comme un oiseau pris au piège, elle murmure avec une voix d’agonisante : « Dans l’espace ». Puis elle supplie en hurlant, lâchant ma main pour se tenir la tête : « Je pars ! ». Je n’ai pas, depuis le début, perdu de l’œil le groupe dont le malaise est évident.
J’explique alors au groupe que le jeu va se dérouler dans l’espace. Il y a donc des astres, la lune, le soleil, des comètes, des trous noirs. J’explique que cet univers est froid, glacial, que les sons qui y circulent sont terrifiants.
Ca craque, ça couine, ça hurle. Les phénomènes intersidéraux nous font tourner comme des girouettes, ou nous imposent une dérive régulière comme celle d’une planète en rotation. Attentif, le groupe m’écoute. Quand je les y invite, ils se lèvent tous et nous rejoignent sur scène. Isabelle les regarde, tremblante.
Elle ajoute : « Et les étoiles ? » marquant par là le fait que non seulement elle m’a écouté parler au groupe, et qu’elle reprend la main pour son jeu en proposant des étoiles. Le seul élément que je n’avais pas évoqué. Je propose alors que chaque membre du groupe soit une étoile. Isabelle acquiesce en hochant la tête. Son « aller-mieux reste timide ». Je fais signe aux autres de se mettre en mouvement et de tournoyer sur la scène. Ils glissent alors silencieusement dans l’univers, composant une sorte de ballet. Je m’éloigne un peu d’Isabelle, demande aux joueurs d’occuper toute la scène, guide de la main leur mouvement. Ils se détendent, se sourient en se croisant. Isabelle reste au milieu, sans bouger. Une étoile l’effleure, elle sursaute, puis une deuxième, une troisième. La quatrième, plus audacieuse glisse contre elle, dos contre dos et appuie son contact. Isabelle rejette la tête en arrière et déplace le poids de son corps ; on dirait qu’elle se déploie. Je continue d’indiquer par des gestes les points de contact qu’il va falloir aller chercher. A l’un, je demanderai, d’appuyer sur ses jambes, à l’autre de tourner autour d’elle comme si elle devenait son pivot, à l’autre de toucher du dos de la main ses pieds nus. Ils dansent autour d’elle, la touchent, repartent dans leur course. Les mouvements sont gracieux, légers, furtifs, ils ne forcent pas, proposent. Les membres du groupe entrainent Isabelle de plus en plus, animant ses bras, se glissant dans son dos pour l’amener à se déplacer de quelques pas. Isabelle ferme les yeux, son corps retrouve de la fermeté et ses gestes de la cohérence. Elle accompagne alors les mouvements des étoiles, s’anime, chavire, se reprend. Les étoiles offrent leur équilibre. Je les laisse faire maintenant, m’éloigne dans un coin de la scène, disparais à leur regard.
Les puissances des corps s’affirment, se posent sur le sol, prennent de la hauteur. Isabelle est prise dans le mouvement de l’univers. Elle tournoie à présent sans crainte, s’anime sans sollicitations, va elle–même au contact des étoiles. Je regarde ma montre, découvre qu’il est temps de terminer le jeu. Je fais signe à un joueur, Ari, dont je connais la force. Isabelle est un tout petit bout de jeune femme, lui un grand gaillard sportif. Je lui demande de la soulever. Il me sourit, s’approche d’elle et, avec une grâce incroyable, la prend dans ses bras, la soulève et la fait tournoyer. Elle rit de ce rire enchanteur que nous lui connaissons. J’arrête le jeu.
Nous revenons nous asseoir. Ari, le grand gaillard, dira à quel point son inquiétude pour Isabelle s’est effacée pendant le jeu, évoquera ses propres bouffées délirantes ; il s’est déjà senti « partir » lui aussi. Les autres décriront combien il leur a été agréable, fort, intense, de jouer ses étoiles. Isabelle, encore pâle, le visage caché sous ses longues mèches remercie, le groupe de l’avoir ramenée à la réalité. Ils s’en vont, elle récupère ses chaussures, qu’elle garde à la main, et m’adresse un regard que je ne cherche pas à interpréter. C’est à ce moment-là que je me rends compte que je suis trempée de sueur et fourbue comme si j’avais couru pendant une heure.
Le jeu a permis à Isabelle d’assembler, d’organiser le monde. Il lui a permis de se rassembler là où elle se disloquait. Nous avons retrouvé un ordre du monde, recontacté le vivant en chacun de nous, nous avons sorti Isabelle de la bouffée délirante pour retrouver un contact apaisé avec sa réalité. Il y a eu une éclaircie par laquelle elle a pu regagner une position dans le monde, sa corporéité en étant le centre. Autour de son corps se tenaient des choses étranges proches et lointaines à la fois, et cette relation spatiale ne peut se déterminer qu’à la condition d’être dans le monde. L’homme est avant tout une relation et c’est en se situant dans cette ouverture qu’il appartient au monde.
Le monde n’étant pas une addition des choses, un récipient, un cadre, un contenant mais un tout accessible à l’homme grâce à l’expérience vécue. Isabelle dans le jeu est revenue au monde, l’a formé, fondé, institué, retrouvé. Elle y a pris appui.
Les joueurs ont compris le jeu et ont usé de leur connaissance du monde, entendu comme une intuition profonde. Ils n’ont pas pensé, pas réfléchi, ce qui les aurait amenés à perdre la naïveté d’une étoile insouciante, l’élan impulsif, la joie de vivre sans cassures. Penser peut diminuer notre capacité à jouer, peut briser la spontanéité. Il y a une inimitié entre la fantaisie ludique créatrice d’images et la pensée conceptuelle. Le jeu est un réel accomplissement de la vie de l’homme. L’irréel du jeu possède une réalité sans faille bien que nous gardions une conscience réelle de son contenu irréel. Dans le jeu, nous croyons que nous sommes sans jamais perdre conscience que nous ne sommes pas. Le jeu est mode d’autoréalisation authentique.
Ce sont les auxiliaires joueurs qui ont emporté Isabelle dans le jeu. Tous se sont sentis responsables du destin d’Isabelle. Ils ont ouverts, via le jeu, l’espace de la scène comme un élargissement de la vie.
Le jeu psychodramatique favorise l’oubli de ce que nous sommes, de ce que nous ressentons en ce sens que, abandonnés, absorbés par un jeu sérieux nous vivons l’écart d’avec la réalité comme vérité. L’interaction entre les joueurs favorise l’oubli et du coup métamorphose les fragments d’existence. Rendre présent accorde un « présent authentique[4] » comme nouvelle vue sur les choses. Une vue en surplomb, non pas distanciée mais nouvelle. Un présent oublieux d’un passé sans attente de futur ouvrant à un à venir. Un présent se présentant sans horizon, sans objectifs et sans attente, un présent qui origine le temps.
Ensemble, collectivement, nous œuvrons en psychodrame à fabriquer une expérience qui facilite l’existence de celui qui en bénéficie. Nous pouvons faire en psychodrame, ce pas de côté vers ce que j’appellerais à l’instar de Georges Canguilhem, le vitalisme, qui est plus une exigence qu’une méthode, plus une « morale » qu’une théorie[5]. Si le vivant s’accommode du milieu, s’y ajuste, la pathologie elle s’y oppose. Aider l’autre à « sortir de soi » est toujours un challenge d’autant plus avec un patient souffrant de schizophrénie. Assiégé de tout, tout submerge le schizophrène, tout est « surproximité[6] » et la douleur explose de ne pouvoir être descriptible. Isabelle n’a plus d’appuis à l’intérieur du monde. Proche et lointain se détériorent mutuellement dans une béance à la fois attirante et repoussante. Dans cet espace de turbulence que traverse Isabelle, il n’y a plus de place pour rien, ni personne. Isabelle n’est plus en prise mais en proie.
Le jeu psychodramatique vient chercher sa capacité de « former en images » les impressions sensorielles qu’elle reçoit.
Dans la vie, le jeu peut apparaître comme un phénomène marginal, parce que la vie est déterminée par des phénomènes sérieux… Je me souviens d’une équipe d'éducateurs d’un Centre d’hébergement et de Réinsertion Sociale qui avaient demandé à leur direction une instance de régulation des pratiques. D’un point de vue professionnel, ils étaient en souffrance.
Les éducateurs souhaitaient mieux comprendre la relation qu’ils avaient avec ces patients. La proposition de psychodrame Balint fut évoquée puis acceptée. Les séances furent planifiés ; il fut convenu qu’elle se dérouleraient à l’extérieur du lieu de travail, les professionnels y vinrent en équipe. Au début, ils furent enthousiastes, parce qu’ils disposaient enfin d’un espace à eux. Mais la joie fut vite remplacée par une immense culpabilité. En psychodrame, ils étaient payés pour jouer ! Le jeu devenait le verso du sérieux de la vie, du souci, du travail, du labeur. Jouer n’est pas sérieux, ils le pensaient tous. Cela leur paraissait incongru et ce sentiment ne s’effaça qu’avec le temps. Au fil des séances, ils ont appris que jouer est une activité réfléchie, raisonnable, respectable.
Jouer peut apparaître comme une détente provisoire, une pause récréative dans une existence faite de tensions successives, une manifestation d’oisiveté, une perte de temps, une occupation frivole. Dans la vie adulte, le jeu a une valeur très limitée. En ce domaine, la langue française pêche par manque de nuance. L’anglais dispose de deux termes, « play » et « game ». Ils permettent de différencier les types de jeux. Les « jeux-game » sont stricts, organisés, définis par des règles. Nous perdons ou nous gagnons, il n’y a pas d’autres possibilités. Winnicott[7], dans son formidable travail sur le jeu, observe que dans ce type de jeu, les personnes cherchent à prévenir tout ce qu’il y a d’affolant dans le l’éventuel dérèglement du jeu. Il y a une volonté de maîtrise dans le game. Par contre, les « jeux-play » se déploient librement, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles ou de contraintes. Jouer, « playing », est un processus en marche, une capacité. Je place le jeu psychodramatique dans l’univers du « play ». Dans la vie adulte, les « jeux-game » sont bien tolérés, le sport, certains jeux vidéo, les jeux de société… Certains sont reconnus, valorisés. L’adulte a besoin de se libérer des tensions, du stress.
Dans ce but, il joue. Mais considérer le jeu comme un loisir, une parenthèse au milieu de nos activités sérieuses, c’est l’isoler de la vie.
L’enfant, lui, joue avec le plus grand sérieux. Le jeu est même le centre de sa vie ! Puis, à mesure que l’enfant
grandit, le jeu est écarté, au profit de la vie sérieuse. « Le jeu est repoussé vers la périphérie de la vie, écrit E Fink, il ne disparaît pas complètement mais acquiert le caractère d’un
passe-temps occasionnel (…) Chez le petit enfant, le jeu est manifestement le pur accomplissement de la vie.»
Si tous les êtres humains ont un point commun, c’est celui-là : le jeu. Nous avons tous joué dans l’enfance. Nous avons tous été des êtres jouant. Un bout de bois se transforme en épée, en
baguette magique, une ficelle en spaghetti fantastique pouvant nourrir toute une tribu d’êtres invisibles, un carton en maison, palais, château fort… Je deviens, l’espace d’un instant, un
astronaute de la lune explorant les cratères creusée par la bave d’un crapaud géant. Je devine le secret de la langue libellule. J’ai une amie pipistrelle… Enfant, nous créons sans cesse des
mondes psychodramatiques. Si le jeu a quelques règles, il n’a pas de limite. Les vingt minutes de récréations scolaires, comme un univers en expansion, semble durer plus longtemps que les heures
de classe…
[8]
Il s’agit en psychodrame de retrouver cette capacité de jeu comme pur accomplissement de la vie, comme action libre. Nous revenons vers l’enfance. Nous nous concentrons pour faire nos « petits machins », nous créons des mondes, nous faisons interagir les événements. Nous sommes, en jouant, occupé, absorbé, concentré. C’est un état psychique proche du retrait, une sorte de rêverie éveillée. A la fois ici et là-bas, nous nous installons dans une bulle que l’on ne quitte pas facilement et qui supporte mal les intrusions.
Quand un patient entre par inadvertance dans la salle de psychodrame pendant la séance, l’hostilité du groupe est manifeste. Même le plus bavard, le plus egocentrique des intrus ne franchit pas le seuil et bredouille une excuse avant de refermer la porte. En psychodrame, l’objectif est de retrouver cette capacité à être emporté dans une espèce de monde intérieur qui a la particularité de pouvoir se partager. Cette intériorité est à la fois solitaire et groupale. « Cette aire où l’on joue, explique Winnicott, n’est pas la réalité psychique interne. Elle est en dehors de l’individu mais elle n’appartient pas non plus au monde extérieur.[9]» Nous intégrons, dans le jeu, des phénomènes extérieurs dans notre réalité interne. En psychodrame, nous reconquérons notre capacité de jeu. Quand nous débutons en psychodrame, nous regardons la possibilité de jouer des autres avec envie, avec malaise. Parce que nous avons su jouer, mais que nous avons perdu cette capacité. Nous sommes rejetés de ce que nous avons pu faire dans l’enfance et notre impuissance nous bouleverse. Nous avons laissé de côté une évidence naturelle et nous nous sentons pauvre, déchu du monde du jeu.
Le temps du monde est un enfant qui joue.
Dans le jeu, la relation homme-monde naît d’une façon singulière. Fink déclare : « En jouant, l’homme ne demeure pas en lui-même, dans le secteur fermé de son intériorité ; plutôt, il sort extatiquement hors de lui-même dans un geste cosmique et donne une interprétation riche du sens du monde.[10]»
Le monde est à entendre comme la région de toutes les régions, l’espace de toutes les espèces, le temps de tous les temps. Le tout du monde, précise Fink, est plus un état d’âme qu’un concept, c’est une tonalité de pensée, une nostalgie de l’illimité, un sentiment océanique, un état de grâce.
Par cosmos, l’auteur fait référence à Héraclite qu’il cite : « Cet ordre du monde identique pour tous n’a pas été créé par aucun dieu, ni par aucun homme mais il fut toujours, est et sera un feu éternellement vivant (…)[11]» Le feu cosmique est le temps du monde. Nous retrouvons, jouant, l’aion qui est la catégorie temporelle la plus primitive. L’aion est le temps d’une vie humaine avec tout son contenu. Pour Héraclite, le temps du monde est un enfant qui joue au tric trac et le royaume du temps du monde est celui de l’enfant.
BIBLIOGRAPHIE
Canguillhem,
G., (1965). La connaissance de la vie. Paris : Vrin, 2006.
Fink, E. (1966) le jeu comme symbole du monde. Paris : Editions de minuit. (1960)
Gal, C. 2016. Le psychodrame, une expérience aussi forte que la vie. Paris : Odile Jacob.
Maldiney, H. (1996) Introduction en forme de post scriptum. In Binswanger L. Henrik Ibsen et le problème de l’autoréalisation dans l’art. Bruxelles : De Boeck.
Maldiney, H. (1991) Psychose et présence. In Penser l’homme et la folie. Grenoble : Jérôme Millon. 513-565.
Robert, P. (2014) Le groupe en psychologie clinique. Paris : Armand Colin.
Tatossian, A. (1997) La phénoménologie des psychoses. Paris : L’art du comprendre.
Winnicott. D.W. (1975) Jeu et réalité. Paris : Gallimard.
[1] Docteur en psychologie clinique, psychologue, psychothérapeute de groupe, psychodramatiste.
[2] Maldiney, H. Psychose et présence. In Penser l’homme et la folie. Grenoble : Jérôme Millon. 1991. 513-565. p. 518.
[3] Robert, P. (2014) Le groupe en psychologie clinique. Paris : Armand Colin.
[4] Maldiney, H. Introduction en forme de post scriptum. In Binswanger L. Henrik Ibsen et le problème de l’autoréalisation dans l’art. Bruxelles, De Boeck, 1996. p. 118.
[5] Canguillhem, G., (1965). La connaissance de la vie. Paris :Vrin, 2006.
[6] Tatossian, A. (1997) La phénoménologie des psychoses. Paris : L’art du comprendre.
[7] Winnicott. D.W. (1975) Jeu et réalité. Paris : Gallimard.
[8] Fink, E. (1966) le jeu comme symbole du monde. Paris : Editions de minuit. (1960)
[9] Winnicott. D.W. (1975) Jeu et réalité. Paris : Gallimard. 73
[10]Fink, E. (1966) le jeu comme symbole du monde. Paris : Editions de minuit. (1960) 22
[11] Fink, E. (1966) le jeu comme symbole du monde. Paris : Editions de minuit. (1960) 26
FAIRE SON TEMPS
Robert BRES
L'avenir m’intéresse car je compte y passer le reste de mes jours
Woody Allen
Depuis 30 ans, Vidéo-psy fait son temps en incarnant toute une histoire faite de multitude de moments, des rencontres, des exposés, des réflexions, des temps forts et des temps morts.
On aurait pu en parler, en faire une biographie, en énumérant ce qui, depuis 30 ans, a été programmé et ce qui a été produit, et raconter son histoire comme de l’extérieur des journées, en fin de compte en faire un bilan.
Nous avons préféré en faire un conte et le confier à Jean Pierre Montalti qui pendant longtemps a incarné ces journées, pour qu’il en fasse de l’intérieur une autobiographie relatant certes les grands moments de vidéo-psy mais aussi tous ces instants, ces morceaux de temps suspendus, tous ces petits riens qui en définitive font passer du compte au conte.
Louis Althusser parle dans « l’Avenir dure longtemps » de ce qui diffère de la biographie et de l’autobiographie et c’est ce dont se plaint aussi Pierre Goldman dans « Souvenirs obscures d’un juif polonais né en France » ; tous deux écoutent ce que l’on a dit de leur histoire, la reconnaissant certes mais en la trouvant étrangère à eux-mêmes car il y manquait tous ces petits riens, ces émotions, tout ce qui a donné de la chaire à leur vie, ce n’était plus que des vies décharnées, comme si pour parler de quelqu’un on ne faisait que donner ses mensurations et que décrire son squelette en omettant d’évoquer ses points sensibles, ses zones érogènes singulières dont « le coin de peau extraordinairement doux derrière l’oreille » que chantait Brigitte Fontaine (« J’ai 26 ans, mais seulement 4 d’utiles »). Et c’est encore Pierre Rivière qui, selon Michel Foucault se dévoile dans son histoire en écrivant un mémoire à la demande du procureur lors de son procès en 1835 pour avoir égorgé sa mère, sa sœur et son frère. Les faits relatés par tout un tas de témoins, y compris des médecins et des aliénistes, étaient manifestement l’œuvre d’un monstrueux idiot, un dégénéré que l’on se proposait donc d’amnistier (car à l’époque la notion de circonstances atténuantes était encore balbutiante et on ne tuait pas les idiots et comme il n’y avait pas de peines autres que la mort, ils rentraient chez eux) ; le mémoire écrit par Pierre Rivière est l’histoire d’une vie avec ses singularités ; il n’était pas idiot mais malade conclut-on et il fut ni condamné, ni amnistié mais interné (car il n’y avait pas de soins autres que l’internement).
« On peut acheter ses heures à un homme, on peut lui piquer ses journées ou lui voler toute sa vie. Mais personne ne peut prendre à un homme ne serait-ce qu’un seul de ses instants ». Pour l’écrivain autrichien, Robert Seethaler dans « une vie entière », ce sont ces instants qui font l’histoire d’un sujet, sans eux il ne serait que l’objet de ce que l’on dit de lui. Seethaller, c’est à l’heure, un joli nom pour quelqu’un qui parle du temps, et je regrette de n’avoir trouvé personne de disponible pour aborder lors de ces journées la question de la ponctualité, vertu forte de nos jours, source de nombreux symptômes (celui qui arrive toujours en retard et ce dit-il malgré lui, celui qui ne peut arriver qu’en avance et celui qui met un point d’honneur à n’arriver qu’à l’heure pile quitte à ne plus rien faire après sinon dit-on à perdre son temps). Notion vertueuse qui est récente car il a bien fallu inventer des horloges précises capables de déterminer ce temps après lequel on court au risque d’être forclos et s’inscrire en dehors des délais impartis. Ainsi, on pose des ultimata, des « dead lines », des dates de péremption (ainsi cette boite de cancoillotte que je dois manger, si je veux, avant le 13 juin 2018 à 8 heures 24 ; que se passera-t-il à 8 heures 25, je ne sais pas, c’est forclos !)).
Bon, on ne va pas en faire tout un fromage, on va parler du temps à faire, temps qu’à faire !
Faire son temps, pour les plus anciens d’entre nous, les psychologues et psychiatres « vintage », voici ce que disait Jean Birouste, lors de son dernier cours public à la faculté Paul Valery le 24 octobre 1987.
« Il a fait son temps! » dit-on d'un vieux fauteuil qui rend l'âme, ou d'un véhicule qui s'essouffle, ou d’un enseignant qui selon la jolie formule patoisante commence à répapier. « Il a fait son temps! ». Mais justement si nous nous éveillons au glissement des signifiés, si nous découvrons et auscultons le verbe « faire » et en modifions l’intonation musicale, alors soudain voici que ce qui nous est proposé c'est en effet de « faire » notre temps, c'est-à-dire d'incarner notre histoire. L'histoire personnelle ce n'est pas le passé; elle devient le passé que pour autant que celui-ci est historié dans le présent par un sujet qui devient son temps. C'est le vœu que je formule pour chacun d'entre vous: « Devenez votre temps ». Plutôt que d'entonner la complainte du temps qui passe ou de geindre sur celui qu'on a pas(...) mieux vaut faire le pas du Trois pour tenter d'être son temps...et comment l'être mieux qu'en le faisant?
Birouste s’adressait à ses élèves qui déroulaient déjà une histoire de vie certes encore balbutiante, moi, je parlerais des ados, encore !, qui entrent progressivement dans leur histoire et ont à faire leur temps ! Avez-vous remarqué que la fin de l'adolescence est, avec le départ à la retraite, le seul moment de l'histoire d'une personne où on ne lui demande pas ce qu'elle fait, mais ce qu'elle envisage faire plus tard.
« Que vas-tu faire de ton temps? », avec l’idée que pour les premiers cela devrait être « un temps tout plein » et pour les derniers « un temps tout vide ». Aux uns et aux autres, on pourrait citer Guillaume Apollinaire : « Un jour, je m’attendais moi-même, je me disais, Guillaume, il est temps que tu viennes, pour que je sache enfin celui-là que je suis, moi qui connait les autres » (Cortège in Alcools)
Que faire du temps qui est là maintenant ?, et d’abord dans quelle figure du temps a-t ’on à s'inscrire ?
Celle de Chronos?
Dans la lignée des Titans, Chronos est le plus jeune fils d'Ouranos, le ciel, et de Gaïa, la terre. Il prend la place d'Ouranos après lui avoir tranché les testicules, une façon bien à lui de s'assurer de rester le plus jeune. Il épouse ensuite Rhéa, sa sœur, et dévore systématiquement ses enfants, là encore dans le souci qu'il n'y ait personne après lui, que le temps soit suspendu et qu'il n'y ait personne pour le détrôner comme le lui auraient prédit son père et sa mère. Le temps de Chronos était l'âge d'or, une sorte de Paradis, un monde sans tensions, sans travail, sans peine, sans conflits, sans mort ni douleur : un temps sans temps.
Ce devait être le pied, c'était trop, too much, lol, pourraient dire grand nombre d'adolescents d'aujourd'hui. Et il y a cet ado qui comme beaucoup se posait des questions sans réponses pour peut-être ne pas avoir à se poser celles qui en auraient : « Qu’est-ce qu’il y avait avant le Bigbang, cette rupture dans un temps sans temps par laquelle le temps s’écoule ? » ; Rien ! la question ne se pose pas, dire « avant » vient situer du temps là où il n’y en a pas ! Démerdez-vous avec ça !
Rhéa, qui en avait marre de voir disparaître ainsi ses enfants, utilise un jour un subterfuge, une ruse, une substitution et fait avaler à son époux une pierre dans un lange en lieu et place de son dernier fils, Zeus. Ce faisant, la mère vient rompre l'emprise paternelle et fait sortir tout le monde d'un pas de Deux (« Et je te fais et je t'avale, et je te fais et je t'avale etc. »), pour inviter tout le monde au pas de Trois, cher à Jean Birouste.
Chronos a très mal pris tout ça et livre bataille à Zeus. Après une guerre de 10 ans, puisque maintenant qu'un fils est là, le temps s'écoule, Zeus en sort victorieux grâce à ses frères que Rhéa avait libérés en droguant Chronos pour qu'il les vomisse. Il règne alors sur un Olympe pacifié mais vite mis à mal, chamboulé et débordé par un trublion subversif, Dionysos, qui sème le chaos. Rhéa avait libéré Zeus de l'emprise paternelle, mais elle avait aussi ouvert l'Olympe à ses autres enfants.
Le temps depuis, s'écoule des brèches ouvertes par le chaos dans la plénitude mise à mal. C’était une sorte de bigbang.
« C'est devenu l'bordel là-haut, il est louf ce Dionysos, complètement pété » en penseraient les ados cités un peu plus haut.
Pour eux, l'âge d'or, devait être « trop »: trop plein, une plénitude béate comme une jouissance permanente qui laisserait sans voix, sans mémoire et sans lendemain. Et du trop, ils doivent glisser au très qui renvoie à l'incomplétude tout de même, au manque, au désir, au temps à prendre et au souvenir du temps perdu.
Trop, c'est encore Chronos, très, c'est déjà Zeus.
Celle du temps savonnette?
Le temps est là, un insaisissable objet derrière lequel on se doit de courir toujours et quand on prend enfin le temps, on dit qu'on le perd.
Il est une savonnette qu'on essaie de saisir sous la douche et qui échappe sitôt qu'on croit la tenir. Et on passe son temps à tenter en vain de la saisir enfin. Quelle est l’intérêt de la savonnette à fuir ainsi? Sinon de nous contraindre à toujours s'occuper d'elle. Car, que fait-on quand il arrive de la prendre? Et, bien, on s'en sert un peu et on la rejette négligemment! Comprenez qu'elle y perde à ce jeu.
Plus on court après le temps moins on en a et plus on pense à lui en se désespérant de le voir passer si vite.
C'est paradoxalement quand arrive un contretemps que brusquement on se réjouit d'avoir du temps, comme ce voyageur pressé, courant sur le quai de la gare et qui malheureusement rate son train. Il découvre qu'il a dorénavant « tout son temps ». N'ayant rien à faire de son temps, il prend le temps de faire plein de choses.
« Le privilège des gens sur-occupés, c'est d'avoir toujours le temps de se rendre disponibles » me disait un jour le Docteur M. Ribstein, comme pour s'excuser d'être pris tout le temps. Quand on est en vacances sans avoir rien d'autre à faire que de laisser passer le temps, il nous est parfois compliqué de se rendre à un rendez-vous ou tout bêtement d'aller poster une lettre. Et, j'entends encore des amis désœuvrés, me répondre ne pas avoir le temps de me rendre un petit service banal, qu'un autre ami, débordé de travail, me rendra volontiers et rapidement.
Il y a aussi ces adolescents occupés à chauffer le banc d'un parc près du lycée, qui ne trouvent jamais le temps, pas même une minute, pour prévenir leur mère de leur retard. Ces mêmes ados qui passent leur temps à se livrer à leur occupation préférée qui est de faire rien, pas de ne rien faire, mais bien de faire rien, et quand enfin, après moult sollicitations de leurs parents agacés, enfin, ils se décident à faire leurs devoirs, ils les bâclent à toute vitesse pour se remettre à ne faire rien.
Drôle de truc que le temps que l'on a justement quand on ne l'a pas!
Celle des quanta temporels?
Comme la lumière qui serait un flux de quanta lumineux, un flux de particules élémentaires d'énergie lumineuse, le flux du temps serait en fait une série de moments, d'instants, comme autant de particules élémentaires de temps. Toute biographie est un écrit au fil du temps. C'est une chronique, un recueil de faits classés par datation, qui se construit comme une mémoire extérieure qui donne l'ordre et la mesure du temps. La constitution de cette mémoire extérieure permet d'oublier, c'est-à-dire de chasser de la conscience, tous les faits qui ont scandé notre histoire. Sans cet oubli, sans cette mise en mémoire, il n'y aurait pas de déroulement historique et notre histoire ne serait qu'un fatras inorganisé. Les quanta temporels sont l'équivalent des cailloux du Petit Poucet. Il les a déposé au fil du temps, ne sachant plus ni où, ni comment, ni dans quel état d'esprit il était en les posant. Quand il a voulu retrouver son chemin, il lui a suffi de les retrouver un par un, se souvenant soudain de ce qu'il avait vécu alors.
De la même façon, quand nous avons à interroger notre histoire, nous cherchons des faits qui nous ont marqués dans le temps: « C'était avant mon opération, après le séjour en Italie et la naissance de notre enfant; souviens-toi, c'était la canicule ou le 11 septembre 2001 ». Un patient, particulièrement mufle, me disait qu'il se souviendrait toujours précisément du jour où il a rencontré sa maîtresse car, ce jour-là, Montpellier avait battu l'OM 4 à 0. Et parfois on aimerait tant que le temps suspende son vol afin de savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours
Ce qui fait mémoire pour l'ado, c'est d'abord ce que lui dit sa mère, plus rarement son père, rapportant des faits dont il ne se souvient plus du tout, s'appuyant sur un album de photos ou lui montrant les marques sur un mur témoignant qu'il a grandi. Il est comme un Petit Poucet à qui on présente un caillou, lui assurant qu'il est de son histoire, mais qu'il ne reconnaît pas et qui ne lui dit rien du tout. C'est aussi une série de faits parentaux comme un déménagement, la mort du chat de la maison ou celle du chien de son père, la naissance d'un petit frère etc. C'est ensuite le déroulé d'une scolarité et le passage du primaire au collège, son entrée en 6ème, puis son passage en 5ème, 4ème, 3ème et son exode au lycée. C'est enfin, le temps des manifestations sociales: concerts, fêtes d’Halloween, Noël etc.
Et, parmi tous ces cailloux qui ne sont pas de lui, il retrouve ce qui le concerne plus directement, ses propres petits cailloux: ses premiers émois amoureux, des traumatismes et humiliations subis mais « sans jamais en parler à papa ni maman », un livre bouleversant, des images choquantes vues à la télévision ou sur Internet etc.
Progressivement, par petits bouts, il se constitue une histoire.
Les quanta nous inscrivent dans un temps qui part, parfois loin derrière nous.
Sauf qu’il y a parfois, un tel évènement, un traumatisme, un caillou si lourd à porter que le sujet s’arrête dans son histoire ; son temps est suspendu, mis aux arrêts et le sujet n’est plus que l’objet de ce qui lui est advenu. « Oh ? Temps suspend ton vol… ». « Je me suis défoncé le 6 février et on est toujours le 6 février » m’a dit un jour de septembre Morgan dont le temps ne s’écoulait plus.
Celle du tempo:
Le tempo est le rythme du temps fait de moments forts et de moments creux. Il en donne la mesure en introduisant une discontinuité dans le déroulement des faits et provoquant des brisures temporelles, sortes d'entractes ou de récréations à entendre aussi comme des « re-création ». Celles-ci scandent et ordonnent le temps présent.
Donner le tempo, c'est découper le présent pour ouvrir au temps qui vient.
Le temps scolaire est un exemple de tempo. Il s'impose, comme une temporalité externe à l'adolescent et très souvent à sa famille.
C'est le mercredi « jour des enfants » qui assigne à résidence au domicile maintes mères de famille qui peut-être auraient aimé travailler ce jour-là, c'est le samedi matin, la semaine des 4 jours, la modification des rythmes scolaires qui ne cesse de se modifier, modifiant par la même l'emploi du temps de presque toute la famille, ce sont les congés scolaires jetant sur les routes des gens bien éloignés pourtant de leur scolarité.
Il y a nombre d'adultes, hors éducation nationale, qui, n'ayant pourtant aucun enfant en âge scolaire, s'obstinent à partir en vacances lors des congés scolaires, s'agglutinent en bouchons sur les routes et reviennent « à la rentrée ». Le tempo scolaire a la vie dure.
Le temps scolaire est fait de programmes qui s'enchaînent dans l'ordre, par étapes. Certains ados, en début d'année (c'est à dire, en fait, en septembre, mais la prégnance du temps scolaire est telle que pour beaucoup l'année ne commence pas en janvier), feuillettent avec curiosité leurs manuels scolaires et sont pris de vertige devant ce qu'ils vont apprendre dans longtemps, dans 6 mois au moins, mais pour un ado, c'est vraiment dans longtemps. Ils sont impressionnés et parfois mal à l'aise comme s'ils avaient, subrepticement, jeté un œil dans le monde des plus grands.
Et puis, le rythme scolaire donne à rêver de récréations, d'avants et après cours, comme autant de temps aménagés pour des rencontres, des aventures et des expériences diverses. « On se voit à la sortie? » ou «Tu vas voir ta gueule à la récrée! » et quand la récrée arrive, il ne se passe rien, l'ado menaçant est tout calme:
« Le mec, à la récrée, il est bien venu, mais on ne s'est pas battu, il avait oublié ses couilles » me raconta Stéphane.
Quand le tempo ne s'impose pas, l'ado est confronté au vide. Alors, il instaure des contretemps faits de trafics en tout genre, d'organisations de batailles plus ou moins rangées, de chasse amoureuse ou de «plans cacahouètes » divers (Plan Cacahouète: en référence à Cacahouète, une copine qui sortait avec Rachid, un ami, et nous entraînait toujours dans des histoires impossibles. Elle n'a jamais su, je crois, que si on l'appelait cacahouète, c'était parce qu’elle était la femme à Rachid!). Il fait parfois l'école buissonnière et se désarrime du temps des autres, sans avoir encore appris à faire le sien. Il peut ainsi faire l'expérience de la solitude et de la vacuité de son désir.
L'ado qui pour des raisons diverses suit des cours par correspondance se trouve dans un tempo long, mal rythmé, peu engageant ni entraînant. Il lui faut alors pour ne pas très vite se sentir submergé, soit un soutien et un métronome parental fort et investi, soit une structuration psychique surmoïque (s'astreindre à travailler quand il est possible de ne rien faire ou de vaquer à tant d'autres occupations, assumer de s'interdire des choses pourtant possibles, ça demande une maturation forte; il est toujours plus facile de renoncer à quoique ce soit quand c'est impossible que de se l’interdire).
Au collège, l'adolescent est inscrit dans des temps communs partagés où il vit une sorte d'Iliade (ils sont tous venus se pelotonner au pied des murailles et attendent tous ensemble qu'on leur prescrive ce qu'il faut faire), au lycée il découvre l'hétérochronie (c'est la séquence de la prise de Troie; ils ne font plus tous la même chose et dans des temps différents), et le voilà maintenant à préparer son bac, un bac qui lui fera faire la traversée vers la faculté ou le monde de l'emploi, selon ce à quoi il souscrit. Il est engagé dans son odyssée pour prendre place dans sa vie d'adulte en gagnant son Ithaque personnelle.
Il aura à se donner son propre tempo et ainsi commencer à faire son temps.
Le temps de l'adolescence
L'adolescence est un moratoire, un temps suspendu, une prorogation, un report à plus tard de ce qu'il y aurait à faire, une suspension de séance. « Circulez! Il n'y a rien à voir » serait tenté de dire l'ado à ses parents.
Il est affairé à se ravir, se désoler ou s'inquiéter à tour de rôle, de ce qui prend corps pour lui, poussant en long en large et surtout en travers de manière hétérochronique (tout ne se transforme pas en même temps). Il n'a pas le temps de s'appliquer à convenir à ses parents. Il n'a plus le temps de chercher à leur plaire ou de penser à ce qu'il va devenir. Il se met en soumission aux temps des autres et se laisse porter par le tempo parental (repas en famille, weekend chez grand-mère ou chez papa ou chez maman quand les parents sont séparés, garde alternative qui lui fait changer régulièrement de chambre, de quartier, de copains et de loisirs, vacances en colonie etc.), plus souvent encore par le tempo scolaire et celui de la programmation de manifestations culturelles pour ados.
L'adolescent n'est encore que locataire de son temps. Il n'en fait rien d'autre que l'occuper à sa guise pour un temps avant de partir louer un autre temps. Et c'est aux propriétaires de ces temps-là (parents, établissement scolaire, organisateurs divers) de veiller au bon état de ces plages temporelles, les aménager au mieux, les réparer parfois, les embellir etc., en se prenant la tête souvent. L'ado, sa tête est déjà suffisamment prise à écouter pousser ses cheveux (Jacques Brel).
Dans le même laps de temps, l'ado locataire grandit, tandis que l'adulte propriétaire vieillit.
En seconde phase de l'adolescence, inaugurée artificiellement par une convocation culturelle quand il atteint ses 15 ans, la majorité sexuelle et souvent le passage du collège au lycée, il a devoir de se projeter dans ce qui va être son avenir. Il n'a plus le temps de se débattre dans le baquet adolescent et il doit prendre son temps, comme on prend son train ou on prend sa route.
L'ado découvre qu'il va devoir faire son temps, et cela le perturbe souvent car il n'en a pas la moindre idée, ne se trouve pas à la hauteur de ses ambitions, n'est pas persuadé de se satisfaire longtemps de ce qu'il envisageait quand il était à l'abri de son enfance et pouvait alors imaginer n'importe quoi car c'était de toute façon pour plus tard. Cela le perturbe aussi car penser à faire son temps, c'est se dire qu'un jour on l'aura fait et qu'il faudra mourir. La mort est ce qui donne sa mesure au temps, Chronos et l'âge d'or nous l'ont enseigné.
« A mourir pour mourir, j'ai choisi l'âge tendre et partir pour partir, je ne veux pas attendre...je ne veux pas vieillir » chantait Barbara. Si l'ado pense à mourir et parfois passe à l'acte par une tentative de suicide, c'est qu'il a moins peur de la mort que du temps qui passe et qui s'allonge inexorablement devant lui. En plus, on lui demande de penser, de faire des choix, de mesurer leur pertinence en fonction d'un objectif souvent encore indéterminé, et leur acceptabilité selon ses compétences mal-estimées et des acquis laissant par trop à désirer.
Penser, se dit « prise de tête » en langage ado, ce qui induit nombre de stratégies diverses pour s'en débarrasser:
- usage de substances diverses,
- passages à l'acte,
- proclamation d'un ennui chronique à des parents du coup eux-mêmes ennuyés et qui cherchent désespérément à lui trouver quelque chose à faire,
- délégation aux parents ou aux éducateurs, psychologues conseils, psychiatres etc. promus en experts es-prise de tête pour qu'ils se la prennent en lieu et place de l'ado qui attend, patiemment, qu'une fumée blanche sorte du cénacle adulte pour dire qu'une solution est trouvée, solution que l'ado balaiera d'un geste pour renvoyer les experts à leurs travaux,
- focalisation de toute énergie psychique sur des questions sans réponse (« Pourquoi que je vis? », «Pourquoi la vache qui rit, rit? », « Pourquoi les corbeaux sont-ils noirs?», « Entre la sorcière et son balai, qui est le plus con? » etc.) Phrases lues et entendues de Boris Vian, Rajaa Stitou et d'ados en réflexion.
- par un enfouissement addictif dans des jeux en ligne, des conduites anorexiques, des collections d'objets divers, des lectures frénétiques ou des études exagérément studieuses.
- affirmation soudaine qu'il est devenu grand et qu'il n'a donc plus à grandir.
- etc.
En adolescence, ce qu’il y aurait de mieux à faire, c’est grandir et grandir, c'est accepter de penser même si pour beaucoup d’ados, penser se dit « prise de tête ». Grandir, c'est penser à soi dans son rapport aux autres, penser à soi dans ce qui fait similitudes et différences d'avec eux, différences susceptibles de m’enrichir (l’autre est « un plus » possible alors qu’autrui n’est qu’un moins « redouté »), penser à soi dans des rapports modifiés aux parents dont on ressent l'exigence de s'en écarter et progressivement apprendre à les comprendre et à leur pardonner (selon Goethe), penser à soi dans un projet d'avenir, penser à soi dans une histoire où l'on entre, penser à soi dans le temps qui passe.
Grandir, c'est se donner le temps de vieillir plus tard et de se reposer la question du temps à faire et d’histoire à incarner quand il faudra un jour battre en retraite en ayant brusquement tout son temps.
Encore une fois, le temps est ce que l’on a quand justement on ne l’a plus !
Qu'est-ce qu'il y avait avant le bigbang?
La question ne se pose pas! Avant le bigbang, ça n'existe pas!
Le temps est né du bigbang! Donc, il n'y a pas d'avant bigbang!
(Dialogue avec un ado qui se pose des questions sans réponse comme pour éviter de se poser celles qui en auraient.)
Le temps de penser au temps prend du temps,
comme si le temps était dehors et dedans; ce n'est pas un objet (jeté devant soi), c'est l'essence même de l'homme.
Jankelevitch
Alors qu'un adulte est toujours de son temps,
un ado est encore dans le temps des autres.
« A Paris,les gens sont toujours pressés. Ils vous bousculent partout. Même ceux qui n'ont rien à faire sont pressés de le faire. Les gens, en fait, n'ont que le temps de prendre le tien! »
Stéphane
Prendre le temps serait prendre vie:
« Ou ma montre s'est arrêtée ou cet homme est mort »
Groucho Marx
« ll est trop tard pour mourir, je n'en ai plus le temps. »
Tony, toxicomane et sidéen
FAIRE SON TEMPS
Robert BRES
L'avenir m’intéresse car je compte y passer le reste de mes jours
Woody Allen
Depuis 30 ans, Vidéo-psy fait son temps en incarnant toute une histoire faite de multitude de moments, des rencontres, des exposés, des réflexions, des temps forts et des temps morts.
On aurait pu en parler, en faire une biographie, en énumérant ce qui, depuis 30 ans, a été programmé et ce qui a été produit, et raconter son histoire comme de l’extérieur des journées, en fin de compte en faire un bilan.
Nous avons préféré en faire un conte et le confier à Jean Pierre Montalti qui pendant longtemps a incarné ces journées, pour qu’il en fasse de l’intérieur une autobiographie relatant certes les grands moments de vidéo-psy mais aussi tous ces instants, ces morceaux de temps suspendus, tous ces petits riens qui en définitive font passer du compte au conte.
Louis Althusser parle dans « l’Avenir dure longtemps » de ce qui diffère de la biographie et de l’autobiographie et c’est ce dont se plaint aussi Pierre Goldman dans « Souvenirs obscures d’un juif polonais né en France » ; tous deux écoutent ce que l’on a dit de leur histoire, la reconnaissant certes mais en la trouvant étrangère à eux-mêmes car il y manquait tous ces petits riens, ces émotions, tout ce qui a donné de la chaire à leur vie, ce n’était plus que des vies décharnées, comme si pour parler de quelqu’un on ne faisait que donner ses mensurations et que décrire son squelette en omettant d’évoquer ses points sensibles, ses zones érogènes singulières dont « le coin de peau extraordinairement doux derrière l’oreille » que chantait Brigitte Fontaine (« J’ai 26 ans, mais seulement 4 d’utiles »). Et c’est encore Pierre Rivière qui, selon Michel Foucault se dévoile dans son histoire en écrivant un mémoire à la demande du procureur lors de son procès en 1835 pour avoir égorgé sa mère, sa sœur et son frère. Les faits relatés par tout un tas de témoins, y compris des médecins et des aliénistes, étaient manifestement l’œuvre d’un monstrueux idiot, un dégénéré que l’on se proposait donc d’amnistier (car à l’époque la notion de circonstances atténuantes était encore balbutiante et on ne tuait pas les idiots et comme il n’y avait pas de peines autres que la mort, ils rentraient chez eux) ; le mémoire écrit par Pierre Rivière est l’histoire d’une vie avec ses singularités ; il n’était pas idiot mais malade conclut-on et il fut ni condamné, ni amnistié mais interné (car il n’y avait pas de soins autres que l’internement).
« On peut acheter ses heures à un homme, on peut lui piquer ses journées ou lui voler toute sa vie. Mais personne ne peut prendre à un homme ne serait-ce qu’un seul de ses instants ». Pour l’écrivain autrichien, Robert Seethaler dans « une vie entière », ce sont ces instants qui font l’histoire d’un sujet, sans eux il ne serait que l’objet de ce que l’on dit de lui. Seethaller, c’est à l’heure, un joli nom pour quelqu’un qui parle du temps, et je regrette de n’avoir trouvé personne de disponible pour aborder lors de ces journées la question de la ponctualité, vertu forte de nos jours, source de nombreux symptômes (celui qui arrive toujours en retard et ce dit-il malgré lui, celui qui ne peut arriver qu’en avance et celui qui met un point d’honneur à n’arriver qu’à l’heure pile quitte à ne plus rien faire après sinon dit-on à perdre son temps). Notion vertueuse qui est récente car il a bien fallu inventer des horloges précises capables de déterminer ce temps après lequel on court au risque d’être forclos et s’inscrire en dehors des délais impartis. Ainsi, on pose des ultimata, des « dead lines », des dates de péremption (ainsi cette boite de cancoillotte que je dois manger, si je veux, avant le 13 juin 2018 à 8 heures 24 ; que se passera-t-il à 8 heures 25, je ne sais pas, c’est forclos !)).
Bon, on ne va pas en faire tout un fromage, on va parler du temps à faire, temps qu’à faire !
Faire son temps, pour les plus anciens d’entre nous, les psychologues et psychiatres « vintage », voici ce que disait Jean Birouste, lors de son dernier cours public à la faculté Paul Valery le 24 octobre 1987.
« Il a fait son temps! » dit-on d'un vieux fauteuil qui rend l'âme, ou d'un véhicule qui s'essouffle, ou d’un enseignant qui selon la jolie formule patoisante commence à répapier. « Il a fait son temps! ». Mais justement si nous nous éveillons au glissement des signifiés, si nous découvrons et auscultons le verbe « faire » et en modifions l’intonation musicale, alors soudain voici que ce qui nous est proposé c'est en effet de « faire » notre temps, c'est-à-dire d'incarner notre histoire. L'histoire personnelle ce n'est pas le passé; elle devient le passé que pour autant que celui-ci est historié dans le présent par un sujet qui devient son temps. C'est le vœu que je formule pour chacun d'entre vous: « Devenez votre temps ». Plutôt que d'entonner la complainte du temps qui passe ou de geindre sur celui qu'on a pas(...) mieux vaut faire le pas du Trois pour tenter d'être son temps...et comment l'être mieux qu'en le faisant?
Birouste s’adressait à ses élèves qui déroulaient déjà une histoire de vie certes encore balbutiante, moi, je parlerais des ados, encore !, qui entrent progressivement dans leur histoire et ont à faire leur temps ! Avez-vous remarqué que la fin de l'adolescence est, avec le départ à la retraite, le seul moment de l'histoire d'une personne où on ne lui demande pas ce qu'elle fait, mais ce qu'elle envisage faire plus tard.
« Que vas-tu faire de ton temps? », avec l’idée que pour les premiers cela devrait être « un temps tout plein » et pour les derniers « un temps tout vide ». Aux uns et aux autres, on pourrait citer Guillaume Apollinaire : « Un jour, je m’attendais moi-même, je me disais, Guillaume, il est temps que tu viennes, pour que je sache enfin celui-là que je suis, moi qui connait les autres » (Cortège in Alcools)
Que faire du temps qui est là maintenant ?, et d’abord dans quelle figure du temps a-t ’on à s'inscrire ?
Celle de Chronos?
Dans la lignée des Titans, Chronos est le plus jeune fils d'Ouranos, le ciel, et de Gaïa, la terre. Il prend la place d'Ouranos après lui avoir tranché les testicules, une façon bien à lui de s'assurer de rester le plus jeune. Il épouse ensuite Rhéa, sa sœur, et dévore systématiquement ses enfants, là encore dans le souci qu'il n'y ait personne après lui, que le temps soit suspendu et qu'il n'y ait personne pour le détrôner comme le lui auraient prédit son père et sa mère. Le temps de Chronos était l'âge d'or, une sorte de Paradis, un monde sans tensions, sans travail, sans peine, sans conflits, sans mort ni douleur : un temps sans temps.
Ce devait être le pied, c'était trop, too much, lol, pourraient dire grand nombre d'adolescents d'aujourd'hui. Et il y a cet ado qui comme beaucoup se posait des questions sans réponses pour peut-être ne pas avoir à se poser celles qui en auraient : « Qu’est-ce qu’il y avait avant le Bigbang, cette rupture dans un temps sans temps par laquelle le temps s’écoule ? » ; Rien ! la question ne se pose pas, dire « avant » vient situer du temps là où il n’y en a pas ! Démerdez-vous avec ça !
Rhéa, qui en avait marre de voir disparaître ainsi ses enfants, utilise un jour un subterfuge, une ruse, une substitution et fait avaler à son époux une pierre dans un lange en lieu et place de son dernier fils, Zeus. Ce faisant, la mère vient rompre l'emprise paternelle et fait sortir tout le monde d'un pas de Deux (« Et je te fais et je t'avale, et je te fais et je t'avale etc. »), pour inviter tout le monde au pas de Trois, cher à Jean Birouste.
Chronos a très mal pris tout ça et livre bataille à Zeus. Après une guerre de 10 ans, puisque maintenant qu'un fils est là, le temps s'écoule, Zeus en sort victorieux grâce à ses frères que Rhéa avait libérés en droguant Chronos pour qu'il les vomisse. Il règne alors sur un Olympe pacifié mais vite mis à mal, chamboulé et débordé par un trublion subversif, Dionysos, qui sème le chaos. Rhéa avait libéré Zeus de l'emprise paternelle, mais elle avait aussi ouvert l'Olympe à ses autres enfants.
Le temps depuis, s'écoule des brèches ouvertes par le chaos dans la plénitude mise à mal. C’était une sorte de bigbang.
« C'est devenu l'bordel là-haut, il est louf ce Dionysos, complètement pété » en penseraient les ados cités un peu plus haut.
Pour eux, l'âge d'or, devait être « trop »: trop plein, une plénitude béate comme une jouissance permanente qui laisserait sans voix, sans mémoire et sans lendemain. Et du trop, ils doivent glisser au très qui renvoie à l'incomplétude tout de même, au manque, au désir, au temps à prendre et au souvenir du temps perdu.
Trop, c'est encore Chronos, très, c'est déjà Zeus.
Celle du temps savonnette?
Le temps est là, un insaisissable objet derrière lequel on se doit de courir toujours et quand on prend enfin le temps, on dit qu'on le perd.
Il est une savonnette qu'on essaie de saisir sous la douche et qui échappe sitôt qu'on croit la tenir. Et on passe son temps à tenter en vain de la saisir enfin. Quelle est l’intérêt de la savonnette à fuir ainsi? Sinon de nous contraindre à toujours s'occuper d'elle. Car, que fait-on quand il arrive de la prendre? Et, bien, on s'en sert un peu et on la rejette négligemment! Comprenez qu'elle y perde à ce jeu.
Plus on court après le temps moins on en a et plus on pense à lui en se désespérant de le voir passer si vite.
C'est paradoxalement quand arrive un contretemps que brusquement on se réjouit d'avoir du temps, comme ce voyageur pressé, courant sur le quai de la gare et qui malheureusement rate son train. Il découvre qu'il a dorénavant « tout son temps ». N'ayant rien à faire de son temps, il prend le temps de faire plein de choses.
« Le privilège des gens sur-occupés, c'est d'avoir toujours le temps de se rendre disponibles » me disait un jour le Docteur M. Ribstein, comme pour s'excuser d'être pris tout le temps. Quand on est en vacances sans avoir rien d'autre à faire que de laisser passer le temps, il nous est parfois compliqué de se rendre à un rendez-vous ou tout bêtement d'aller poster une lettre. Et, j'entends encore des amis désœuvrés, me répondre ne pas avoir le temps de me rendre un petit service banal, qu'un autre ami, débordé de travail, me rendra volontiers et rapidement.
Il y a aussi ces adolescents occupés à chauffer le banc d'un parc près du lycée, qui ne trouvent jamais le temps, pas même une minute, pour prévenir leur mère de leur retard. Ces mêmes ados qui passent leur temps à se livrer à leur occupation préférée qui est de faire rien, pas de ne rien faire, mais bien de faire rien, et quand enfin, après moult sollicitations de leurs parents agacés, enfin, ils se décident à faire leurs devoirs, ils les bâclent à toute vitesse pour se remettre à ne faire rien.
Drôle de truc que le temps que l'on a justement quand on ne l'a pas!
Celle des quanta temporels?
Comme la lumière qui serait un flux de quanta lumineux, un flux de particules élémentaires d'énergie lumineuse, le flux du temps serait en fait une série de moments, d'instants, comme autant de particules élémentaires de temps. Toute biographie est un écrit au fil du temps. C'est une chronique, un recueil de faits classés par datation, qui se construit comme une mémoire extérieure qui donne l'ordre et la mesure du temps. La constitution de cette mémoire extérieure permet d'oublier, c'est-à-dire de chasser de la conscience, tous les faits qui ont scandé notre histoire. Sans cet oubli, sans cette mise en mémoire, il n'y aurait pas de déroulement historique et notre histoire ne serait qu'un fatras inorganisé. Les quanta temporels sont l'équivalent des cailloux du Petit Poucet. Il les a déposé au fil du temps, ne sachant plus ni où, ni comment, ni dans quel état d'esprit il était en les posant. Quand il a voulu retrouver son chemin, il lui a suffi de les retrouver un par un, se souvenant soudain de ce qu'il avait vécu alors.
De la même façon, quand nous avons à interroger notre histoire, nous cherchons des faits qui nous ont marqués dans le temps: « C'était avant mon opération, après le séjour en Italie et la naissance de notre enfant; souviens-toi, c'était la canicule ou le 11 septembre 2001 ». Un patient, particulièrement mufle, me disait qu'il se souviendrait toujours précisément du jour où il a rencontré sa maîtresse car, ce jour-là, Montpellier avait battu l'OM 4 à 0. Et parfois on aimerait tant que le temps suspende son vol afin de savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours
Ce qui fait mémoire pour l'ado, c'est d'abord ce que lui dit sa mère, plus rarement son père, rapportant des faits dont il ne se souvient plus du tout, s'appuyant sur un album de photos ou lui montrant les marques sur un mur témoignant qu'il a grandi. Il est comme un Petit Poucet à qui on présente un caillou, lui assurant qu'il est de son histoire, mais qu'il ne reconnaît pas et qui ne lui dit rien du tout. C'est aussi une série de faits parentaux comme un déménagement, la mort du chat de la maison ou celle du chien de son père, la naissance d'un petit frère etc. C'est ensuite le déroulé d'une scolarité et le passage du primaire au collège, son entrée en 6ème, puis son passage en 5ème, 4ème, 3ème et son exode au lycée. C'est enfin, le temps des manifestations sociales: concerts, fêtes d’Halloween, Noël etc.
Et, parmi tous ces cailloux qui ne sont pas de lui, il retrouve ce qui le concerne plus directement, ses propres petits cailloux: ses premiers émois amoureux, des traumatismes et humiliations subis mais « sans jamais en parler à papa ni maman », un livre bouleversant, des images choquantes vues à la télévision ou sur Internet etc.
Progressivement, par petits bouts, il se constitue une histoire.
Les quanta nous inscrivent dans un temps qui part, parfois loin derrière nous.
Sauf qu’il y a parfois, un tel évènement, un traumatisme, un caillou si lourd à porter que le sujet s’arrête dans son histoire ; son temps est suspendu, mis aux arrêts et le sujet n’est plus que l’objet de ce qui lui est advenu. « Oh ? Temps suspend ton vol… ». « Je me suis défoncé le 6 février et on est toujours le 6 février » m’a dit un jour de septembre Morgan dont le temps ne s’écoulait plus.
Celle du tempo:
Le tempo est le rythme du temps fait de moments forts et de moments creux. Il en donne la mesure en introduisant une discontinuité dans le déroulement des faits et provoquant des brisures temporelles, sortes d'entractes ou de récréations à entendre aussi comme des « re-création ». Celles-ci scandent et ordonnent le temps présent.
Donner le tempo, c'est découper le présent pour ouvrir au temps qui vient.
Le temps scolaire est un exemple de tempo. Il s'impose, comme une temporalité externe à l'adolescent et très souvent à sa famille.
C'est le mercredi « jour des enfants » qui assigne à résidence au domicile maintes mères de famille qui peut-être auraient aimé travailler ce jour-là, c'est le samedi matin, la semaine des 4 jours, la modification des rythmes scolaires qui ne cesse de se modifier, modifiant par la même l'emploi du temps de presque toute la famille, ce sont les congés scolaires jetant sur les routes des gens bien éloignés pourtant de leur scolarité.
Il y a nombre d'adultes, hors éducation nationale, qui, n'ayant pourtant aucun enfant en âge scolaire, s'obstinent à partir en vacances lors des congés scolaires, s'agglutinent en bouchons sur les routes et reviennent « à la rentrée ». Le tempo scolaire a la vie dure.
Le temps scolaire est fait de programmes qui s'enchaînent dans l'ordre, par étapes. Certains ados, en début d'année (c'est à dire, en fait, en septembre, mais la prégnance du temps scolaire est telle que pour beaucoup l'année ne commence pas en janvier), feuillettent avec curiosité leurs manuels scolaires et sont pris de vertige devant ce qu'ils vont apprendre dans longtemps, dans 6 mois au moins, mais pour un ado, c'est vraiment dans longtemps. Ils sont impressionnés et parfois mal à l'aise comme s'ils avaient, subrepticement, jeté un œil dans le monde des plus grands.
Et puis, le rythme scolaire donne à rêver de récréations, d'avants et après cours, comme autant de temps aménagés pour des rencontres, des aventures et des expériences diverses. « On se voit à la sortie? » ou «Tu vas voir ta gueule à la récrée! » et quand la récrée arrive, il ne se passe rien, l'ado menaçant est tout calme:
« Le mec, à la récrée, il est bien venu, mais on ne s'est pas battu, il avait oublié ses couilles » me raconta Stéphane.
Quand le tempo ne s'impose pas, l'ado est confronté au vide. Alors, il instaure des contretemps faits de trafics en tout genre, d'organisations de batailles plus ou moins rangées, de chasse amoureuse ou de «plans cacahouètes » divers (Plan Cacahouète: en référence à Cacahouète, une copine qui sortait avec Rachid, un ami, et nous entraînait toujours dans des histoires impossibles. Elle n'a jamais su, je crois, que si on l'appelait cacahouète, c'était parce qu’elle était la femme à Rachid!). Il fait parfois l'école buissonnière et se désarrime du temps des autres, sans avoir encore appris à faire le sien. Il peut ainsi faire l'expérience de la solitude et de la vacuité de son désir.
L'ado qui pour des raisons diverses suit des cours par correspondance se trouve dans un tempo long, mal rythmé, peu engageant ni entraînant. Il lui faut alors pour ne pas très vite se sentir submergé, soit un soutien et un métronome parental fort et investi, soit une structuration psychique surmoïque (s'astreindre à travailler quand il est possible de ne rien faire ou de vaquer à tant d'autres occupations, assumer de s'interdire des choses pourtant possibles, ça demande une maturation forte; il est toujours plus facile de renoncer à quoique ce soit quand c'est impossible que de se l’interdire).
Au collège, l'adolescent est inscrit dans des temps communs partagés où il vit une sorte d'Iliade (ils sont tous venus se pelotonner au pied des murailles et attendent tous ensemble qu'on leur prescrive ce qu'il faut faire), au lycée il découvre l'hétérochronie (c'est la séquence de la prise de Troie; ils ne font plus tous la même chose et dans des temps différents), et le voilà maintenant à préparer son bac, un bac qui lui fera faire la traversée vers la faculté ou le monde de l'emploi, selon ce à quoi il souscrit. Il est engagé dans son odyssée pour prendre place dans sa vie d'adulte en gagnant son Ithaque personnelle.
Il aura à se donner son propre tempo et ainsi commencer à faire son temps.
Le temps de l'adolescence
L'adolescence est un moratoire, un temps suspendu, une prorogation, un report à plus tard de ce qu'il y aurait à faire, une suspension de séance. « Circulez! Il n'y a rien à voir » serait tenté de dire l'ado à ses parents.
Il est affairé à se ravir, se désoler ou s'inquiéter à tour de rôle, de ce qui prend corps pour lui, poussant en long en large et surtout en travers de manière hétérochronique (tout ne se transforme pas en même temps). Il n'a pas le temps de s'appliquer à convenir à ses parents. Il n'a plus le temps de chercher à leur plaire ou de penser à ce qu'il va devenir. Il se met en soumission aux temps des autres et se laisse porter par le tempo parental (repas en famille, weekend chez grand-mère ou chez papa ou chez maman quand les parents sont séparés, garde alternative qui lui fait changer régulièrement de chambre, de quartier, de copains et de loisirs, vacances en colonie etc.), plus souvent encore par le tempo scolaire et celui de la programmation de manifestations culturelles pour ados.
L'adolescent n'est encore que locataire de son temps. Il n'en fait rien d'autre que l'occuper à sa guise pour un temps avant de partir louer un autre temps. Et c'est aux propriétaires de ces temps-là (parents, établissement scolaire, organisateurs divers) de veiller au bon état de ces plages temporelles, les aménager au mieux, les réparer parfois, les embellir etc., en se prenant la tête souvent. L'ado, sa tête est déjà suffisamment prise à écouter pousser ses cheveux (Jacques Brel).
Dans le même laps de temps, l'ado locataire grandit, tandis que l'adulte propriétaire vieillit.
En seconde phase de l'adolescence, inaugurée artificiellement par une convocation culturelle quand il atteint ses 15 ans, la majorité sexuelle et souvent le passage du collège au lycée, il a devoir de se projeter dans ce qui va être son avenir. Il n'a plus le temps de se débattre dans le baquet adolescent et il doit prendre son temps, comme on prend son train ou on prend sa route.
L'ado découvre qu'il va devoir faire son temps, et cela le perturbe souvent car il n'en a pas la moindre idée, ne se trouve pas à la hauteur de ses ambitions, n'est pas persuadé de se satisfaire longtemps de ce qu'il envisageait quand il était à l'abri de son enfance et pouvait alors imaginer n'importe quoi car c'était de toute façon pour plus tard. Cela le perturbe aussi car penser à faire son temps, c'est se dire qu'un jour on l'aura fait et qu'il faudra mourir. La mort est ce qui donne sa mesure au temps, Chronos et l'âge d'or nous l'ont enseigné.
« A mourir pour mourir, j'ai choisi l'âge tendre et partir pour partir, je ne veux pas attendre...je ne veux pas vieillir » chantait Barbara. Si l'ado pense à mourir et parfois passe à l'acte par une tentative de suicide, c'est qu'il a moins peur de la mort que du temps qui passe et qui s'allonge inexorablement devant lui. En plus, on lui demande de penser, de faire des choix, de mesurer leur pertinence en fonction d'un objectif souvent encore indéterminé, et leur acceptabilité selon ses compétences mal-estimées et des acquis laissant par trop à désirer.
Penser, se dit « prise de tête » en langage ado, ce qui induit nombre de stratégies diverses pour s'en débarrasser:
- usage de substances diverses,
- passages à l'acte,
- proclamation d'un ennui chronique à des parents du coup eux-mêmes ennuyés et qui cherchent désespérément à lui trouver quelque chose à faire,
- délégation aux parents ou aux éducateurs, psychologues conseils, psychiatres etc. promus en experts es-prise de tête pour qu'ils se la prennent en lieu et place de l'ado qui attend, patiemment, qu'une fumée blanche sorte du cénacle adulte pour dire qu'une solution est trouvée, solution que l'ado balaiera d'un geste pour renvoyer les experts à leurs travaux,
- focalisation de toute énergie psychique sur des questions sans réponse (« Pourquoi que je vis? », «Pourquoi la vache qui rit, rit? », « Pourquoi les corbeaux sont-ils noirs?», « Entre la sorcière et son balai, qui est le plus con? » etc.) Phrases lues et entendues de Boris Vian, Rajaa Stitou et d'ados en réflexion.
- par un enfouissement addictif dans des jeux en ligne, des conduites anorexiques, des collections d'objets divers, des lectures frénétiques ou des études exagérément studieuses.
- affirmation soudaine qu'il est devenu grand et qu'il n'a donc plus à grandir.
- etc.
En adolescence, ce qu’il y aurait de mieux à faire, c’est grandir et grandir, c'est accepter de penser même si pour beaucoup d’ados, penser se dit « prise de tête ». Grandir, c'est penser à soi dans son rapport aux autres, penser à soi dans ce qui fait similitudes et différences d'avec eux, différences susceptibles de m’enrichir (l’autre est « un plus » possible alors qu’autrui n’est qu’un moins « redouté »), penser à soi dans des rapports modifiés aux parents dont on ressent l'exigence de s'en écarter et progressivement apprendre à les comprendre et à leur pardonner (selon Goethe), penser à soi dans un projet d'avenir, penser à soi dans une histoire où l'on entre, penser à soi dans le temps qui passe.
Grandir, c'est se donner le temps de vieillir plus tard et de se reposer la question du temps à faire et d’histoire à incarner quand il faudra un jour battre en retraite en ayant brusquement tout son temps.
Encore une fois, le temps est ce que l’on a quand justement on ne l’a plus !
Qu'est-ce qu'il y avait avant le bigbang?
La question ne se pose pas! Avant le bigbang, ça n'existe pas!
Le temps est né du bigbang! Donc, il n'y a pas d'avant bigbang!
(Dialogue avec un ado qui se pose des questions sans réponse comme pour éviter de se poser celles qui en auraient.)
Le temps de penser au temps prend du temps,
comme si le temps était dehors et dedans; ce n'est pas un objet (jeté devant soi), c'est l'essence même de l'homme.
Jankelevitch
Alors qu'un adulte est toujours de son temps,
un ado est encore dans le temps des autres.
« A Paris,les gens sont toujours pressés. Ils vous bousculent partout. Même ceux qui n'ont rien à faire sont pressés de le faire. Les gens, en fait, n'ont que le temps de prendre le tien! »
Stéphane
Prendre le temps serait prendre vie:
« Ou ma montre s'est arrêtée ou cet homme est mort »
Groucho Marx
« ll est trop tard pour mourir, je n'en ai plus le temps. »
Tony, toxicomane et sidéen