Le texte qui suit, lu à 4 voix lors du Colloque vidéopsy 2018, est issu d’un Café philo autour de la notion de « Temps », auquel ont participé une dizaine de personnes adhérentes du Groupe d’Entraide Mutuelle Rabelais. Ce texte recueille et assemble leurs mots et trajets pensants.
Écouler. Infini. Le temps, il faudrait le laisser derrière.
Le temps qu’il fait : ce matin, j’ai pris le temps de faire mes courses,
j’ai regardé ma montre en croyant avoir le temps de boire un café. Quand on va quelque part, qu’on fait des choses, on n’a pas assez de temps, qu’il faut déjà partir. Le temps, pour moi, c’est un agenda. Un temps sans agenda, je ne peux pas l’imaginer, parce que je suis dispersé dans ma tête. J’ai un problème avec le temps ? Je lui donne une allure, attentif aux moindres gestes.
Vieillir, comment l’accepter ? Se poser, pour aménager du temps dans le temps.
Il y a un temps général, un temps des horloges, et une horloge interne sans aiguilles, une durée. Si je me balade seul, sur la comédie, je vais regarder l’horloge : c’est le temps qui est avec moi. Alors que si je suis avec quelqu’un, c’est du temps partagé, c’est avec l’autre.
Dès qu’on parle du temps, des chansons nous viennent :
« Avec le temps, va, tout s'en va... »
« Hier encore, j'avais vingt ans, je gaspillais le temps. Je n'ai fait que courir et me suis essoufflé ». Il y a ce qui reste, ce qui se perd. Du passé, tout-est-il vraiment derrière soi ? Il y a des choses gardées dans la tête et dans le cœur. Le lieu de nos perceptions passées est encore vivace : un état d’enfance, un habitat perceptif.
Le temps, ça nous fait parler d’un rapport au temps : le miens, celui des autres.
Le temps comme chemin de construction, d’amélioration de sa vie.
Le temps comme possibilité d’apprendre et de transmettre.
Le temps que l’on voit dans les photos, comme signe de notre vieillissement.
Le temps comme possibilité d’être avec quelqu’un, comme un sol pour se rencontrer.
Avec un certain temps social, je dois ruser, pour ne pas que cela étouffe des choses vitales. Faire une lecture, boire un café.
Ce temps à lire et boire un café a peu de valeur, socialement. Or, ce sont des prises de temps à part entière, une manière de prendre part à la vie. Prendre parti pour des manières d’être et de vivre : prendre la peine de les valoriser, de les renforcer.
Je pense aux cycles de la vie, aux cycles biologiques de l’organisme qui ont des répercussions sur la totalité du corps (par exemple le cycle du cortisol, hormone surrénalienne dans l’organisme, qui est typiquement le plus abaissée à 8 heures du matin et peut varier au cours de la journée et influer sur les organes, la peau, le système nerveux, digestif. De même, le cycle de rotation de la terre autour du soleil, les saisons immuables mais perturbées à l’heure actuelle. Le cycle de notre fonctionnement global, physique et psychique, où parfois on semble revivre des choses déjà vues, déjà connues.
Le temps, c’est de l’argent, pour sortir, passer le temps, on a besoin d’argent.
Pour venir ici, au GEM, ça ne m’a rien coûté. Mais en même temps, ici, j’ai bu un café, j’ai mangé une pomme, un bout de gâteau, il y a de l’électricité, et tout ça, ça a un coût. Le temps est passé doucement ces derniers temps. Le temps passerait plus vite si on avait plus d’affection. Quand on est amoureux, c’est vrai que ça passe vite.
Prendre le temps, c’est important pour moi. J’aime prendre le temps le matin, pour me doucher, me maquiller, me pomponner. Le durée de tout ça prend 10 mn.
Cette année 2018, je sens que ça va vite passer. La période du bébé à l’adulte : le temps passe à une grande vitesse. Il faut profiter de bons moments dans cette vie, puisqu’il n’y a qu’une seule vie. Il y a des inconvénients et des avantages. La vie n’est pas parfaite, heureusement, même. Il faut surtout prendre le temps de respirer calmement. Il faut qu’avec le temps, je réalise mes rêves, étant chanteuse. Pour moi, le temps, ce n’est pas de l’argent. La durée est rapide. Le temps permet d’avoir le recul nécessaire pour juger une situation ; il permet à une personne d’évaluer ses chances.
Pourquoi dit-on « le temps m’aide à bricoler », et pas : « je bricole ». Pourquoi dit-on « le temps m’aide à lire », et pas : « je lis ». Ce n’est pas le temps qui m’aide, c’est moi.
Il y a une confusion du temps et du Sujet. Je vois de plus en plus le temps au présent.
Le temps, c’est plus en rapport avec moi et mes ressentis, comme Sujet.
Ce n’est pas une notion de durée. Je suis de plus en plus dans le ressenti, et pas dans une quantification.
Quelqu’un dit : « j’ai oublié ce que j’ai dit la semaine dernière, mais ça me reviendra. » Quelque chose est à la fois enfuie, fini ET peut revenir, être là à nouveau.
Mais comment, en quelle occasion, sous quelle forme ? Comme un lointain ricochet, comme un écho qui ne s’est pas tout à fait tût. Quelque chose qui ne demande qu’un appel, une impulsion. Comment créer les conditions de cette impulsion ?
Le temps, dans la maladie, est un bloc, de répétitions, d’automatismes.
Ce sont des moments où mon corps ne vivait pas les saisons.
Maintenant, mon corps vit les saisons. Je peux me souvenir de l’été passé.
Sentir le froid, le chaud. La maladie, ça rigidifie le corps, c’est une sensibilité qui n’existe plus. Parfois plusieurs temps se chevauchent et peuvent être un peu « morcelants », comme un puzzle désimbriqué. Mais plus tu mets de sens à tes actes, et moins y’a de morceaux, moins y’a de coupures.
Et on aura beau mettre et remettre et chercher du sens, regretter, anticiper, retarder,
le temps qui passe est un mouvement perpétuel de la vie qui nous échappe.